Aussi glaciale que les portes d’une prison. De l’extérieur, on ne le cachera pas, la « maison de transition » d’Enghien n’inspire pas grand-chose. Installé le long d’une chaussée passante, à côté d’un grand espace de coworking et au milieu d’une zone commerciale abritant de grandes enseignes de la construction, l’espace n’est repérable que par le petit panneau dénominateur installé à l’entrée. Il faut franchir les portes badgées pour mieux appréhender l’esprit des lieux. C’est là, par la grande fenêtre qui aère chacune des quinze chambres des détenus participants, que l’on commence à comprendre. Chaque occupant a une vue dégagée sur un pré herbé qui limite tout l’horizon, celui que beaucoup d’entre eux n’ont plus aperçu depuis des années.
Ici reprend une vue normale avant la vie, la vraie. La maison de transition d’Enghien, la deuxième à ouvrir ses portes dans le pays après celle de Malines en septembre, est un concept inédit dans la politique de réinsertion des détenus en fin de peine. Elle est là pour assurer une meilleure transition entre la prison et la remise en liberté souvent brutale quand elle ne s’accompagne pas de conditions. « Les études montrent que les détenus ont d’autant plus de chance de se réinsérer dans la société qu’ils sont accompagnés », explique Koen Geens (CD&V), le ministre fédéral de la Justice. « Ces maisons sont là pour les aider à reprendre une vie normale. »
Capables de vivre en société
Ces structures, qui ne pourront accueillir que 15 participants chacune, ne sont accessibles qu’à des détenus présentant des profils précis. « Ils sont d’abord sélectionnés par les directeurs des prisons », explique Rudy Van De Voorde, directeur général des établissements pénitentiaires. « Et puis, il y a un second screening opéré par la direction en charge de la détention au ministère de la Justice. Ce sont des détenus en fin de peine qui ont encore un maximum de 18 mois de prison à prester. On écarte les profils dangereux. Il faut que les participants puissent s’insérer dans une vie en communauté, qu’il n’y ait pas de risques pour l’intégrité d’autrui ni de risques de se soustraire à l’autorité. »
Mises en place à la faveur d’une loi fédérale – Masterplan 3 des prisons – et financées par le ministère de la Justice, ces maisons de transition sont pourtant entièrement gérées par une société privée, Groupe 4 S. « C’est vrai que nous sommes plus connus pour notre activité liée à la sécurité des personnes et des lieux, mais nous possédons déjà une bonne expérience dans l’accompagnement et l’accueil des personnes, notamment dans la gestion des centres d’accueil pour demandeurs d’asile ou pour sans-abri », explique Stéphane Gilles, directeur des ressources humaines chez G4S. « Nous avons recruté l’ensemble des dix membres du personnel qui vont exercer ici en tant qu’assistants sociaux, éducateurs, psychologues… »
Dans la maison, les détenus, appelés « participants », jouiront d’une liberté encadrée par un règlement d’ordre intérieur à respecter. « Ils ont chacun leur chambre, s’occupent de leur ménage, mangent et se douchent quand ils veulent mais dans un cadre normal : on ne va pas prendre sa douche à deux heures du matin évidemment », poursuit Stéphane Gilles. « Tous ont un trajet de réinsertion défini à l’avance. Ils savent combien de temps ils vont rester ici avant de sortir définitivement. Ils doivent donc aussi chercher du travail et un futur logement. »
5 à 10 % de récidive en moins
Les détenus ne sortent pas à leur guise de l’établissement. « Soit ils ont droit comme en prison à des congés pénitentiaires ou des permissions de sortie », explique Rudy Van De Voorde. « Soit ils sortent seuls ou accompagnés dans le cadre d’une sortie prévue pour faire des démarches administratives. L’idée reste tout de même de rendre leur vie la plus normale possible. »
Comme l’a expliqué Koen Geens, ces maisons ne sont pas là pour régler le problème de surpopulation dans les prisons mais bien pour tenter de diminuer le taux de récidive des ex-détenus « lâchés » dans la nature. L’expérience d’une telle structure menée depuis 40 ans aux Pays-Bas montre que cela fonctionne. « Une étude menée par l’université de Leyde a établi que parmi les détenus pris en charge par Exodus (l’association néerlandaise qui s’occupe de la réinsertion des détenus et qui a lancé le concept des maisons de transition, NDLR) le taux de récidive diminue de 5 à 10 % », explique Ian Van Gils, CEO d’Exodus. « Cela peut paraître peu au regard des efforts consentis, mais il est à mettre dans le contexte du fonctionnement néerlandais où tous les détenus peuvent faire la demande pour un tel accompagnement, y compris ceux présentant de lourdes et longues condamnations. »
Si les premiers mois de fonctionnement à Malines semblent apporter tous les apaisements attendus, les deux premières maisons de transition belges feront l’objet d’une évaluation approfondie après un an d’existence. Si les résultats sont positifs, le concept pourrait être dupliqué ailleurs dans le pays.