Ça sent l’élection : les livres sont de sortie. Alexander De Croo mise sur les femmes, Theo Francken sur la souveraineté, Koen Geens sur les valeurs humanistes.
Dans « Wat ik ervan begrijp », Koen Geens donne ses recettes pour développer l’optimisme face à un monde de peurs. Un livre philosophique (pour l’instant seulement en néerlandais), nourri de citations tirées de ses nombreuses lectures, « non électoraliste », se défend-il. « Si j’avais voulu préparer la campagne, après des passages aux Finances et à la Justice qui m’ont donné une bonne idée de l’état du pays, j’aurais écrit un livre sur Mon projet pour la Belgique , – un pays que j’aime toujours. Mais j’ai écrit ce livre à l’occasion de mes 60 ans sur mon temps libre et sur base de notes, parce que j’en avais besoin. »
C’est un plaidoyer pour le multilatéralisme, les bienfaits de la migration et le respect de soi et des autres. Votre corpus de valeurs pourrait être lu comme de l’« anti-Francken » ?
Je l’ai écrit bien avant la discussion sur Marrakech. Je voulais expliquer qui je suis et ce que nous sommes comme pays d’Europe de l’Ouest en 2018. C’est essentiel que celui qui cherche à développer son identité, connaisse son histoire et utilise la mémoire collective. Même l’histoire que j’ai vécue depuis 1970 n’a été qu’une succession de crises, nucléaire, financière, économique, pétrolière. Que l’être humain a résolues à chaque fois… en en provoquant une autre. La crise du pétrole a créé celle du système des pensions, la crise des banques celle des dettes, la crise migratoire celle de la Turquie. Si on ne voit pas cela, on pense de fait qu’une crise est la fin du monde. Or j’ai une sainte conviction : on progresse !
Les temps sont très noirs :le climat, les populismes ?
Les années 73-85 étaient terribles, avec le chômage : tout le monde plaidait pour la croissance zéro. Aujourd’hui, on se centre sur la crise migratoire. La migration met-elle en cause notre civilisation ? Sommes-nous faibles à ce point ? Pour ne pas avoir peur, il faut avoir une identité propre – qui n’est pas nécessairement l’identité chrétienne, mais celle des Lumières et en tout cas autre chose que le simplisme de « nos normes et valeurs », de grâce ! On ne peut s’ouvrir à l’autre qu’en étant un peu rassuré sur soi-même. Le débat identitaire dont on aime tellement parler aujourd’hui est assez vide et instrumentalisé. Non pas que la crise de la migration ne soit pas un problème, mais on peut la résoudre, comme les autres.
Attention, le « Wir schaffen das » a tué Merkel ?
Nous avons mal maîtrisé cette migration il y a 20 ans, on le fait mieux maintenant mais le vrai souci est qu’on parle peu des causes. J’ai rencontré récemment le président du Tchad, un pays très pauvre qui accueille 700.000 réfugiés venus de Somalie et du Soudan. La pauvreté fait bouger ces gens, comme ce fut notre cas quand nous émigrions aux États-Unis. Aujourd’hui, l’Europe n’investit pas assez structurellement dans le domaine du développement. Cela devrait être une bien plus grande priorité.
Vous plaidez pour la transformation du « eux » en « nous ». Comment renverser la machine raciste à l’œuvre ?
Quand on voit comment aujourd’hui les homosexuels et les transgenres sont acceptés dans notre pays alors qu’il y a trente ans à peine, ils étaient rejetés et humiliés, je sais qu’on est capable de changer et de faire une révolution. C’est là que nous avons une tâche d’éducation. C’est ce que nous, hommes politiques, avons le devoir de faire.
En participant à un gouvernement dont un membre, Theo Francken, par ses tweets et un parti, via une campagne récente, sont accusés de stimuler le rejet de l’autre ?
Le monde politique a senti, même chez des gens qui ne sont pas de droite, qu’il y avait une peur et une inquiétude dans la population qui rendait difficile de s’identifier à certains projets. J’ai senti cela très fort au moment de la reconnaissance des mosquées. J’ai fait approuver une circulaire sur la sécurité masi la Flandre n’a pas voulu suivre. Mais j’ai personnellement défendu au gouvernement ces principes auxquels je crois : je n’ai pas voulu de l’état d’urgence, j’ai veillé à ne pas prendre de mesures contraires aux droits de l’homme, on a tenu bon aussi sur la liberté d’expression, on a refusé de donner le pouvoir aux bourgmestres d’arrêter les personnes sans juge, etc. Mon parti a toujours été très clair sur ces choses.
Vous espérez, écrivez-vous, qu’il ne faudra pas une troisième guerre mondiale pour se rendre compte des vertus du multilatéralisme. La souveraineté ne serait donc pas menacée ?
Je suis très touché par le fait que la souveraineté et les frontières de la Belgique sont à ce point importantes pour certains partis de notre pays. 800 km de frontières ! Ce n’est qu’en partageant cette souveraineté qu’on sait avancer. C’est ce que l’histoire nous enseigne. Faire le contraire, c’est être du mauvais côté de l’histoire. Theresa May est formidable, mais ce que les Britanniques font aujourd’hui est indigne.
Votre livre prêchedans le désert aujourd’hui ?
Sauf à des moments précis de l’histoire, je ne pense pas qu’un homme ou une femme puisse faire la différence. Je veux juste donner du courage et de l’espoir aux gens qui lisent le livre.
Pour être optimiste sur le monde, écrivez-vous, il faut être en paix avec soi, accepter ses limites, profiter du moment présent ?
Aujourd’hui, on parle de pleine conscience mais j’ai appris cette idée à 17 ans, d’un Jésuite. Essayer de se concentrer sur les choses importantes qu’on fait gratuitement, c’est important pour trouver de l’énergie. Il faut arrêter d’être constamment agité et critique pour soi. On a besoin de moments où on est intégralement soi, via une conversation, un match de foot, l’écoute de la musique, en donnant un discours…
C’est cette sérénité intérieure qui manque à des hommes comme Bart De Weverquand il ironise sur« la coalition Marrakech » ?
C’est difficile à comprendre pour moi. J’ai demandé cette semaine à la télévision qu’on n’utilise plus « Marrakech » : « Moquez-vous de moi, mais ne vous moquez pas des Marocains car les jeunes ne comprennent pas. » Si la quatrième génération de Flamands après la Seconde Guerre mondiale, peut encore être frustrée par le sentiment que leurs aïeuls ont été maltraités pendant la répression, je pense que certains hommes flamands sont particulièrement bien placés pour comprendre les ressentiments des jeunes Marocains. Le racisme est un sentiment du ventre : si on le laisse aller…
Facile d’être optimisteet généreux quand on naîtdu bon côté de la société ?
Bien sûr mais j’explique pourquoi le pessimisme est nourri par une méconnaissance des faits et qu’il faut donner à ceux qui n’ont pas la chance que j’ai eue, toutes les sécurités sociales et juridiques dont ils pourraient avoir besoin pour se sentir mieux et devenir heureux.
Béatrice Delvaux