La loi sur la transaction pénale ne peut ignorer l’indépendance du juge et la séparation des pouvoirs. Le ministre de la Justice Koen Geens prévoit une loi pour répondre aux objections.
Un arrêt de la Cour constitutionnelle, publié jeudi 2 juin, constate que la loi sur la transaction pénale est incompatible avec la Constitution, la Convention européenne des droits de l’homme ainsi qu’avec les dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Cette loi de 2011, qui prévoit que le parquet peut proposer au contrevenant un règlement financier sous conditions en échange de l’extinction des poursuites, a pour conséquence que le législateur met le juge hors jeu. Le principe de la séparation des pouvoirs, ceux de l’indépendance du juge et du procès équitable s’en trouvent ainsi affectés. La Cour avait été saisie par des questions préjudicielles posées par la chambre des mises en accusation de Gand.
Pas de rétroactivité
Cette décision de la Cour constitutionnelle ne remet pas en cause les transactions déjà conclues qui permirent à des hommes d’affaires (le Belgo-Kazakh Patokh Chodiev ou encore des diamantaires anversois) d’éviter des sanctions pénales moyennant le paiement de fortes sommes d’argent : 22,5 millions d’euros pour Chodiev qui évita ainsi un retentissant procès pénal. Cette loi sur la transaction pénale entendait, dans ses intentions, répondre au souci de compenser le risque d’un non-aboutissement d’affaires complexes devant les juridictions pénales par l’existence d’une voie amiable. Elle répondait aussi à la préoccupation de désengorger les tribunaux. Les procureurs généraux y étaient favorables à ce titre, sauf la mise hors-jeu dès lors que les juges de fond étaient saisis.
La Cour constitutionnelle ne remet pas en cause le principe de la transaction pénale, dès lors qu’elle précède la saisine du juge d’instruction et, obligatoirement dans sa foulée, les juridictions d’instruction. Mais, dit-elle en substance, dès lors qu’un juge d’instruction ou une juridiction de fond est saisi, l’indépendance du magistrat, le principe constitutionnel de la séparation des pouvoirs se doit d’être respecté. La Cour relève ainsi que le juge d’instruction, dès lors qu’il est saisi par le parquet, n’a aucun contrôle juridictionnel sur une transaction décidée par le parquet. Elle note encore que le juge d’instruction ne peut lui-même décider d’un abandon des poursuites. Tout cela, estime aussi la Cour constitutionnelle, est contraire avec les articles de la Constitution relatifs à l’égalité de tous et la non-discrimination, au principe aussi que nul ne peut être distrait du juge que lui assigne la loi.
L’incontournable indépendance du juge
La Cour constitutionnelle s’intéresse aussi à la « transaction pénale étendue » qui implique que la transaction pénale puisse encore être proposée par le parquet ou le parquet général avant que ne soit rendue une décision définitive au fond. La transaction, en quelque sorte, avait ce pouvoir « magique » de mettre à néant l’action en cours. Le législateur, en 2011, avait été sensibilisé aux problèmes de constitutionnalité posés par cette pratique. Il avait, pour tenter d’y répondre, accordé au juge de fond un contrôle sur les « conditions formelles » de l’accord (consentement de l’auteur des faits poursuivis et indemnisation des victimes, essentiellement les administrations sociales et fiscales). La Cour constitutionnelle reprend à son compte la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme qui retient, in globo , qu’une des conditions nécessaires à la validation réside dans le « contrôle suffisant du juge quant au contenu de la transaction et à l’équité de la procédure ayant mené à sa conclusion » . Le juge ne peut se cantonner à un contrôle des apparences de régularité : il est aussi compétent pour le fond.
Le ministre de la Justice Koen Geens a pris acte de cet arrêt et présentera au gouvernement un avant-projet de loi répondant aux objections exprimées.
La Cour, en statuant sur la constitutionnalité de la transaction pénale, a essentiellement rappelé que l’indépendance du juge est incontournable et que la raison pratique ne pouvait altérer les principes qui régissent la séparation des pouvoirs et le procès équitable.