Les rédactions du Soir et du Standaard ont reconstitué minute par minute le déroulement des événements qui ont frappé Bruxelles le 22 mars dernier. Vingt journalistes ont rencontré septante témoins clés de cette journée tragique : blessés, secouristes, policiers, politiques…
Certains nous aident à imaginer ce qui s’est passé sur les lieux des attentats, comme André le Pas, qui était dans la même rame de métro que le kamikaze. Il raconte : « En une fraction de seconde, tout est devenu subitement clair, puis tout noir. Il y a eu comme un calme terrible, irréel. J’ai pris le souffle, ce blast qui m’a percuté. Je ne savais pas respirer. »
D’autres éclairent les décisions prises par les autorités. « C’est un moment très particulier, explique un ministre qui a passé la matinée du 22 mars au Centre de crise. Il faut gérer ce qui existe et valider tout ce qu’on entend. » Et faire face aux faiblesses du réseau de communication. « On a travaillé avec des SMS, certains ont utilisé WhatsApp » , indique le ministre de la Défense, Steven Vandeput. C’est Maggie De Block qui l’a proposé à tous ses collègues. « Mais je ne savais pas comment faire » , ajoute Koen Geens, le ministre de la Justice.
Son tympan a été transpercé. « J’ai perdu 40 % d’audition. De l’oreille gauche, j’entends comme au travers d’un oreiller. » « C’était le carnage, quoi », résume le premier sergent Paul-Henri Beauvois. Il était un des 12 militaires présents ce matin-là. Son tour de garde. « Cette odeur de chair brûlée, je ne l’oublierai jamais. C’était l’apocalypse. Monstrueux. Certains avaient perdu un bras ou une jambe, une femme avait perdu un pied. J’ai aidé une hôtesse dont les cheveux avaient brûlé. Je l’ai emmenée vers un banc. J’ai appris plus tard qu’elle avait le pied cassé. C’est elle dont on a vu la photo partout. C’était une hôtesse de Jet Airways. C’est un miracle qu’elle ait survécu. Un peu plus loin, il y avait un corps complètement démembré et brûlé, probablement celui d’un terroriste. » En attendant les secours, le militaire videra son kit de premiers soins. « En principe, on ne peut pas. On doit le garder pour nous. Si je suis blessé, un collègue doit pouvoir l’utiliser pour m’aider. Et comme nous n’avons pas de formation médicale, on ne peut pas soigner d’autres personnes. Mais ce jour-là, personne n’a hésité… »
L’information, elle, est arrivée dans la capitale. Incomplète, encore.
Les premiers politiques sont avertis.
Rudi Vervoort, le ministre-président bruxellois (PS) est dans les locaux de Bel RTL. Il boit un café avec Martin Buxant, à qui il a accordé l’interview matinale de 7 h 50 quand la rédactrice en chef, Barbara Mertens, blême, fait irruption pour annoncer « des explosions à l’aéroport » . Vervoort reste prudent, « faute d’informations ». On jette un œil par la fenêtre, pour voir si de la fumée s’échappe au loin, là où se devine l’aéroport. Un attentat ? Aucune certitude. Une explosion, cela peut aussi être du gaz.
Steven Vandeput, le ministre de la Défense (N-VA) est, lui, prévenu par un SMS de ses services. Il est 8 h 01, peut-être 8 h 02. « D’habitude, à cette heure-là, je suis déjà à Bruxelles. Mais le 22 mars, j’étais encore à Hasselt, j’y avais un rendez-vous. J’ai demandé à mon chauffeur de venir au plus vite, pour qu’on puisse partir vers Bruxelles. » Dans la voiture, il passera les premiers coups de fil. « J’ai appelé le Général responsable des opérations. Il fallait prendre contact avec le centre de crise, nous devions faire en sorte que la Défense soit prête pour intervenir en soutien partout où ce serait nécessaire. A ce moment-là, on ne savait pas exactement l’ampleur de la situation. Le tout premier message parlait d’au moins vingt morts. »
« La première réaction,
c’est l’incrédulité »
« C’est mon chef de la sécurité qui m’a appris les deux explosions , témoigne de son côté Arnaud Feist. Le patron de l’aéroport national a alors déjà quitté son domicile, à Overijse, pour Zaventem. « C’est un professionnel. Il m’a tout de suite dit que ce n’était pas un accident, mais très probablement des attentats. Ça a été le choc. La première réaction, c’est l’incrédulité. On se dit que ce n’est pas possible. Pour être honnête, j’ai même regardé la date, pour voir si on était un 1er avril, tout en me disant que personne ne ferait jamais une blague pareille. » Son chauffeur reçoit ordre d’accélérer. Le patron de Bruxelles-National appelle Jacqueline Galant, la ministre de la Mobilité (MR). Puis son épouse. Il y a déjà des embouteillages autour de l’aéroport. Il atteindra le site vers 8 h 10.
Jaak Raes était aussi en route pour l’aéroport, où un avion l’attendait à 10 heures, quand il a appris l’information. « Dès le début, j’ai entendu qu’il y avait eu deux explosions , commente le patron de la Sûreté de l’Etat. Comme à Madrid, à Londres, à Paris. J’ai su alors qu’il y avait un motif, l’empreinte de terroristes. Nous avons tout de suite ouvert un Centre de crise à la Sûreté, et moi je suis parti au Centre fédéral. » Toute la journée, la Sûreté restera en contact avec les services de renseignement étrangers. « Notre tâche était bien délimitée : nous devions apporter le plus d’informations pouvant mener à l’arrestation des auteurs. Nous avons immédiatement posé une masse de questions aux services de renseignements étrangers, et reçu une masse de réponses. Toutes les portes sont restées ouvertes. Tout cela a apporté des informations qui font aujourd’hui partie de l’enquête judiciaire. » Raes en est convaincu : la journée du 22 mars aura aussi montré que la Belgique n’est pas un Failed State. « Nous arrivons toujours à des résultats , souligne-t-il. Seulement, nous ne le crions pas sur tous les toits. »
Retour à Bruxelles. 8 h 10. Les ministres sont alertés, un par un. Dans quelques minutes, ils le seront tous. Jan Jambon (N-VA), le ministre de l’Intérieur, est à son cabinet quand son chef de cabinet adjoint lui annonce l’explosion d’une bombe à Zaventem. Une seule, alors. Mais déjà une première indication : 20 morts. Le vice-Premier appelle Charles Michel, qui organise une réunion d’urgence au « 16 ». Jambon refuse, et suggère de filer juste à côté, rue Ducale, au Centre de crise.
Le Centre de crise. Nœud de la communication, du recueil d’informations, de la prise de décision. Le QG. A l’heure des attentats, trois employés y sont de garde, dont Bénédicte De Vestele, chef de permanence. « Une quinzaine d’autres personnes descendent des étages dans la demi-heure », explique-t-elle. Et d’autres arrivent de l’extérieur. « Une heure plus tard, on était une cinquantaine autour de la table , raconte le ministre de l’Intérieur Jan Jambon (N-VA). Koen Geens (Justice, CD&V) est arrivé. Maggie De Block (Santé, Open VLD), Steven Vandeput… Presque tout le gouvernement. Rudi Vervoort était là aussi. »
Les procédures existent. Les automatismes aussi. Mais tout sera à gérer. Le niveau d’alerte, les nouvelles menaces, les secours, les écoles, les transports en commun, l’enquête. Et tout ce qui n’avait pas pu être prévu. Dont les appels téléphoniques. « Le Centre a reçu jusqu’à 300 appels par heure ce jour-là , souligne Bénédicte De Vestele. Ce n’est pas normal, la ligne est en principe réservée aux services officiels. Mais le numéro du centre s’est répandu depuis plusieurs années sur internet. » Il faudra l’ouverture du call-center spécial, quelques heures plus tard, pour soulager la ligne.
Au Centre, « tout a été très professionnellement coordonné, débriefe Koen Geens. Alain Lefèvre, le patron, avait la main. Et naturellement, le procureur fédéral Frédéric Van Leeuw a joué un rôle important. Il y avait une grande pression sur les services. Dans ces moments, il ne faut pas se lancer dans des considérations hasardeuses, ne pas spéculer, mais collaborer de façon disciplinée et contrôlée. » Geens est dans un état de conscience difficile à décrire. « Votre cerveau ne peut gérer qu’un nombre limité d’informations ; à partir de là, il y a des réflexes, de l’instinct. L’important est de garder la tête froide. La situation demande un commandement central. Et c’était bien le cas ce jour-là. »
« Bruxelles va
peut-être sauter »
A l’aéroport, les premiers secours sont arrivés. Lodewijk De Witte, le gouverneur du Brabant flamand a activé le plan d’urgence provincial à 8 h 12. Un comité de coordination est mis en place dans la foulée, à Louvain. On y fait venir les autorités locales, la Province, des représentants de l’aéroport, un de Brussels Airlines (qui parlera au nom de toutes les compagnies), de Swissport (assistance au sol), le parquet, et le Procureur du Roi. Le gouverneur tient la barre, mène les discussions. Les premières décisions ? Réquisitionner la police fédérale, vite, pour gérer la circulation aux abords de l’aéroport. Et appeler la Croix-Rouge, qui ouvrira un central téléphonique.
Le gouverneur multiplie les coups de fil. Avec ses collègues, avec le ministre de l’Intérieur, avec le Centre de crise, à Bruxelles. Se pose la question : va-t-on déjà relever le niveau d’alerte, et activer le plan d’urgence « fédéral », avec son déploiement de moyens supplémentaires ? Lodewijk De Witte en parle avec le Centre de crise, vers 8 h 30. On hésite. C’est qu’à cette heure, les informations n’évoquent « que » 20 morts. Et cyniquement dit, selon les « barèmes », c’est encore « trop peu » pour que l’urgence soit décrétée au niveau national. Mais c’est un attentat, ici, qui va heurter la société. Le Centre de crise informe le gouverneur qu’il va « y réfléchir ». Finalement, il sera activé vers 9 heures. Vingt minutes avant le déclenchement du plan d’urgence « bruxellois », décidé par Jean Clément, le haut fonctionnaire qui fait office de gouverneur.
Depuis le premier appel reçu par Manuella Jacobs, au central 112 de Louvain, l’information circule aussi vers les services d’interventions. Vers le central 100 d’abord. Vers les services de pompiers, ensuite. Ceux de Bruxelles, installés à l’avenue de l’Héliport, sont avertis à 8 h 10.
Mais les canaux sont parfois moins officiels. Aux cliniques universitaires Saint-Luc, on apprend la nouvelle par la radio. Tout comme à l’hôpital Erasme, où ce sont les alertes info sur les portables, et la rumeur, qui font comprendre le drame qui se joue. Mais tous se mettent en branle. Une colonne de véhicules de pompiers, avec 25 hommes à bord est dépêchée. Comme deux équipes Smur (Service mobile d’urgence et de réanimation) de Saint-Luc et autant d’Erasme.
« Peu de tensions, mais énormément de stress »
« Nous sommes partis dès l’appel, à 8 h 10 , explique le Lieutenant Alain Clause, des pompiers bruxellois. En colonne. On se suit, on arrive tous en même temps. Nous sommes sur place à 8 h 27. » Une demi-heure après les explosions. « D’habitude, on peut s’y rendre plus facilement, mais il y avait déjà pas mal d’embouteillages. La police avait installé un périmètre de sécurité qui bloquait tout du côté de Zaventem. » Un véhicule « follow me » les aidera à parcourir plus rapidement les derniers mètres, jusqu’au hall des départs. Sur place, les pompiers de Zaventem et d’Evere sont eux déjà arrivés. A peine une ou deux minutes plus tôt. Les Smur de Saint-Luc arrivent 20 minutes après l’alerte. Les collègues de l’hôpital militaire sont déjà sur place. L’équipe Meda (assistance médicale) de l’aéroport également, avec son infirmier d’urgence et son anesthésiste-intensiviste. Un poste médical avancé a été installé dans la caserne des pompiers de l’aéroport, les militaires en poste ce matin-là à l’aéroport s’y regroupent. Le lieu a été préféré à l’hôtel Sheraton, jugé trop proche du lieu des attentats. Le directeur médical (Dir-Med) a déjà entamé le pré-triage des victimes. On met des bracelets aux blessés. Rouge pour une urgence vitale instantanée, jaune pour une urgence qui peut admettre une heure de délai, vert pour les autres.
« Les procédures veulent qu’on se conforme aux instructions du Dir-Med , commente le D r Marie Van Laer, urgentiste et intensiviste de Saint-Luc. Les militaires et les pompiers avaient déjà fait un travail remarquable. Beaucoup de patients avaient un garrot et étaient installés sur des civières. Cette efficacité a sauvé, je crois, pas mal de monde. Notre travail à ce moment-là est de les stabiliser, de surveiller leur oxygénation, leur rythme cardiaque et leur tension. Ils sont presque tous conscients. » On se parle dans un mélange de langues, sans conflit. « Il y a peu de tensions, mais énormément de stress, car nous travaillons sous la menace » , poursuit la D r Van Laer. Plus tard, « on entendra qu’il y a eu une explosion à Maelbeek. On se dit que Bruxelles va peut-être sauter. Que peut-être une autre bombe est dans l’aéroport, pour tuer des équipes de secours. Nous n’avions jamais vu cette violence globale et aveugle, qui laisse sur le carreau tous ces jeunes gens gravement mutilés, avec des membres arrachés. Les plaies sont profondes, les lésions aux membres et aux extrémités très importantes. Il faut aller vite. Le froid menace, malgré les couvertures. On perfuse, pour compenser le sang perdu. » Des médicaments supplémentaires arrivent par container, du SFP Santé. « Jamais on n’a été en situation de pénurie. Le plan catastrophe a bien fonctionné. » Un signe de cette efficacité : une heure cinquante à peine après l’arrivée des secours, tous les patients auront été envoyés vers un hôpital. Souvent loin de Bruxelles. Une efficacité à mettre au crédit des secouristes et de leur professionnalisme, bien sûr. Mais aussi de l’anticipation.
Car la Belgique s’était préparée à vivre sa journée noire.
Après les attentats parisiens du 13 novembre, toutes les procédures d’urgence avaient ainsi été revues. Plusieurs hôpitaux ont mené des exercices, certains plusieurs fois. Avec en tête un scénario double, qui sonnait déjà comme une fatalité. 1. Bruxelles serait visée. 2. Les attaques seraient multiples.
« Après Paris, on a écrit à tous les hôpitaux du pays en leur demandant de reprendre leur plan Mash (Mise en alerte des services hospitaliers) », explique la ministre de la Santé Maggie De Block. « Un plan bien connu et intégré dans les hôpitaux, mais qui n’avait plus été activé à Bruxelles depuis la catastrophe de Ghislenghien », précise-t-on au cabinet de Didier Gosuin (Défi, ministre bruxellois de la Santé).
Un énorme travail d’inventaire avait été commandé. Injonction avait été donnée aux hôpitaux de communiquer toute une série d’informations : les moyens pouvant être dégagés dans les 30 premières minutes, le nombre de salles d’opérations, de médecins, de chirurgiens, d’anesthésistes, la sévérité des blessures qui pouvaient être gérées, etc. « On nous a critiqués parce qu’on paniquait, mais au moins, c’était fait » , se félicite aujourd’hui Maggie De Block. Tous les services hospitaliers avaient reçu des instructions par écrit, autant de piqûres de rappel : prendre soin du matériel, ne pas faire rentrer n’importe qui, toujours être bien identifiés, porter le bon badge. Les équipes Smur avaient été interrogées, il fallait connaître les numéros de plaque des ambulances, et savoir combien pourraient être envoyées en cas d’attentat à Bruxelles. Le courrier était précis : « A Bruxelles ». « On savait que c’était là l’endroit le plus exposé au risque d’attentat » , insiste De Block.
Une préparation qui a payé. Dans les minutes qui ont suivi la double explosion de Zaventem, alors que les ambulances sont encore en route, le plan d’évacuation des blessés est déjà connu. Ils iront majoritairement en Flandre, à l’exception des plus graves. Quinze hôpitaux en accueilleront, notamment à Anvers, en Brabant flamand et dans le Limbourg. « C’est le plan qui avait été défini après Paris , ajoute la ministre. Il ne fallait pas tous les envoyer dans les hôpitaux de Bruxelles. Pour éviter que toutes les ambulances doivent circuler dans la capitale. Et pour laisser des lits disponibles dans les hôpitaux bruxellois. »
L’hôpital militaire de Neder-over-Heembeek est lui aussi mobilisé. Le plan prévoit d’en faire une « station intermédiaire ». « On y donnait les premiers soins avant de diriger les patients vers d’autres institutions , explique le ministre de la Défense Steven Vandeput. A un moment donné, on avait plusieurs dizaines de blessés graves. Et puis on les a envoyés ailleurs, parfois en hélicoptère. Il y avait beaucoup de polytraumas, nous avons une expertise en la matière. »
Dominique Denoël, un rescapé de Maelbeek, fera partie de ces blessés passés par l’institution militaire. Touché à la main, au bras, avec des débris métalliques dans le sternum, près de la vésicule biliaire, ou dans le cuir chevelu, il subira ces transferts multiples, lot de nombreux blessés. « On m’a d’abord emmené à la cafétéria d’un des bâtiments jouxtant la station , se rappelle-t-il. Des vigiles nous apportaient des serviettes mouillées pour qu’on puisse se nettoyer. J’avais de plus en plus mal, extrêmement mal. Ma main était dans un état abominable. C’était comme si la peau avait fondu, et s’était re-solidifiée. » Vingt minutes plus tard, il est emmené dans un autre bâtiment, derrière la station de métro, dans des bureaux. Puis un troisième. « Là, tout le monde commence à craquer et à pleurer, moi compris. » Dominique passera encore par l’hôtel Thon tout proche, où a été installé un poste médical, avant d’être envoyé à l’hôpital militaire. « A l’hôtel, j’ai eu droit à un Dafalgan. A l’hôpital militaire, on a nettoyé mes blessures, on a mis ma main dans du Flamigel. » Puis c’est le dernier voyage, vers Loverval. Le calme, enfin. En pleine forêt. « Et surtout loin de tout, loin des attentats. »
Cheryl Micallef Borg, 30 ans, a aussi transité par l’hôpital militaire. Elle et son compagnon, Lorenzo, sont ressortis blessés du hall de Zaventem. Choqués, aussi. Frigorifiés. « A Neder, nous avons été emmenés dans une énorme chambre, où tous les lits avec les blessés étaient placés côte à côte , raconte Lorenzo. J’ai reçu une perfusion, avec des calmants. Et on m’a fait passer un scanner, qui a révélé trois fractures à la colonne vertébrale. Quand on m’a dit qu’il n’y aurait pas de paralysie, j’ai été un peu soulagé. »
Mais l’état de sa compagne inquiète. Cheryl, enceinte de 20 semaines, ressent des contractions. Et un petit saignement est observé. La fausse couche est redoutée. Décision est alors prise de l’envoyer tout de suite à Alost. Cheryl atterrit au service maternité. Mais l’alerte passe. « Je suis restée branchée une demi-heure aux moniteurs. Quand il est apparu que les pulsations du bébé étaient normales, cela a été un énorme soulagement. »
Le tissu hospitalier est dense. Le puzzle se met en place. 27 hôpitaux recevront des blessés des attentats, ce 22 mars. Une vingtaine d’autres resteront mobilisés. La rame de métro n’a pas encore explosé à Maelbeek que les sept hôpitaux universitaires du pays et toutes les institutions du Brabant flamand ont d’ailleurs déjà été invités à se mettre en alerte, à rappeler leur personnel disponible. Et les Smur disponibles du Hainaut, de Flandre orientale et d’Anvers ont été appelés à se rendre aux abords de Bruxelles. Pour servir de réserves. Au cas où. Anticipation salvatrice, une fois encore. Quand la rame de métro explosera, des ambulances sont déjà stationnées à Nivelles, Puurs et Grand-Bigard, sur des parkings des autoroutes E19 et E40. Elles seront en première ligne pour évacuer rapidement les victimes.
« Le réseau sans fil,
c’est de la m… »
Au final, aucun hôpital ne sera saturé. « Au contraire, la VUB et Erasme ont dit qu’ils s’attendaient à recevoir davantage de blessés. Lors de la catastrophe du Heysel, ils avaient évacué tous les blessés à Anderlecht, à Brugmann et à l’AZ-VUB, et ils avaient été débordés, certains blessés devaient attendre dans les couloirs , reprend Maggie De Block. Ici, à aucun moment ils n’ont été débordés. Ils ont aussitôt annulé les opérations qui étaient programmées et pouvaient attendre. Ils disent tous être heureux d’avoir un plan. Ils savaient ce qu’ils devaient faire. » La France, l’Allemagne, le Luxembourg, l’Union européenne proposeront ce matin-là leur aide, notamment en hélicoptères, ambulances ou prise en charge de blessés. Maggie De Block et Steven Vandeput en seront avertis. Ils déclineront.
Rien à redire, alors ? Si. Beaucoup. Si les acteurs de terrain appuient l’efficacité du plan de secours, tous dénoncent un énorme plantage. Celui des télécommunications. Les pompiers, les policiers, l’armée, les politiques. Les secours. Tous ont dû œuvrer avec des réseaux GSM saturés. Une donne inattendue, paralysante. Qui a ralenti certains actes, parfois. « C’était une grosse frustration , résume ainsi Guido Van Wymersch, numéro 1 de la zone police Bruxelles-Ixelles. Beaucoup de nos systèmes fonctionnent avec le GSM. Tout le monde savait pourtant que ça allait arriver… Le 21 juillet, quand le Roi vient au balcon du palais et que tout le monde prend et envoie des photos, il est aussi impossible de téléphoner… Heureusement, on pouvait encore envoyer des SMS. »
A l’hôpital Erasme, où quinze patients seront accueillis entre 9 h 30 et 11 h 23, on a dû réagir avec les moyens du bord. Là comme ailleurs. « Les réseaux internes de téléphonie ont saturé , commente le Dr Marc Van Nuffelen, chef de service adjoint des urgences. Il fallait parfois que les collègues de l’imagerie médicale descendent avec leurs résultats. Mais cela s’est fait sans porter tort aux patients. Toutefois, il faudra améliorer cet aspect-là. Par ailleurs, le centre du 100 nous avait demandé nos capacités, mais nous ne savions pas combien de patients allaient nous être envoyés. Nous le découvrions en voyant arriver l’ambulance. Cela aussi, c’est délicat. »
« Le 112 de Bruxelles était injoignable »
Constat corroboré par Philippe Meert, chef de service aux urgences de Saint-Luc. Lui aussi pense avoir peut-être échappé à un drame plus lourd encore, par la faute de communications défaillantes, sinon inexistantes. « C’est un collègue qui m’a appris les explosions peu après 8 heures, il en avait entendu parler à la radio , déplore-t-il. Jamais nous n’avons eu confirmation de l’attentat via le 112. Le centre 112 de Bruxelles était injoignable, ou avec une qualité dégradée de communication. Et le réseau Astrid (réseau de communication interne aux services de secours, Ndlr) était inopérant. Nous n’avions plus de contacts avec les deux équipes Smur envoyées à Zaventem. Et nous n’avions pas d’informations du Directeur médical sur place sur le nombre et la nature des patients qui nous étaient envoyés. Dans ce cas-ci, il semble n’y avoir eu heureusement aucune conséquence dommageable pour les patients, mais cela pourrait être différent dans d’autres configurations d’attentats. D’autant que le réseau Regetel (Réseau gouvernemental de Communication, Ndlr) , des lignes fixes sécurisées entre services de secours et autorités, n’a pas davantage fonctionné. » Philippe Meert n’aura son premier contact avec l’équipe de régulation installée à l’hôpital militaire que peu avant midi, via une ligne fixe. « Le fait de ne pas communiquer aurait pu se transformer en morts et blessés supplémentaires. Il faut y veiller pour l’avenir. »
« Nous avons reçu l’info de base par les médias , enchaîne le Dr. Pierre Mols, chef des urgences à Saint-Pierre. Et on ne savait pas trier entre les vraies alertes et les rumeurs. Sincèrement, le réseau sans fil, c’est de la m… Dans nos malles, on a encore des terminaux et des fils de cuivre. Le filaire n’a jamais lâché chez nous. Mais c’est une leçon à retenir pour le futur, il faudra sans doute réinvestir dans des réseaux qui ne peuvent pas être saturés. C’est toujours la communication qui est la fragilité en temps de guerre… Si tu es sourd et aveugle, comment riposter ? »
Le gouvernement promet d’y veiller. « On a travaillé avec des SMS, certains à la table (du centre de crise, Ndlr) ont utilisé WhatsApp » , indique le ministre de la Défense Steven Vandeput. C’est Maggie De Block qui l’a proposé, à tous ses collègues. « Mais je ne savais pas comment faire » , ajoute Koen Geens, le ministre de la Justice (CD&V). « J’ai utilisé les téléphones fixes qu’on avait immédiatement apportés. Et envoyé des SMS. Ça, ça marchait. » « A un moment, on a décidé de renforcer la capacité du réseau Astrid avec des antennes mobiles , complète Steven Vandeput. Mais on ne savait pas où les envoyer. A Zaventem ? A Bruxelles ? » « Et installer des antennes mobiles supplémentaires mobilise des policiers en plus , abonde un collègue. Pour donner une idée, lors de la catastrophe de Ghislenghien, l’utilisation d’Astrid a été multipliée par cinq par rapport à la normale. Ici, c’est cinq fois plus par rapport à Ghislenghien. »
Le 22 mars, l’opérateur Base a dopé ses antennes bruxelloises, outrepassant pour l’occasion les normes « légales ». Les réseaux Proximus et Mobistar, eux, étaient saturés. Un ministre fédéral concède : « Ils auraient pu faire comme Base. Ou aussi installer des antennes mobiles supplémentaires. Alexander De Croo (Télécommunications, Open VLD) discute avec eux pour voir ce qu’on peut faire en pareille situation. »
La priorité : évacuer
A Bruxelles-National, pendant que les secours prennent les premiers blessés en charge, Arnaud Feist veut se rendre dans le hall des départs. Mais la police lui en barre l’accès. « C’était très difficile de ne pas aller sur place, mais ma place n’était pas là » , relève le CEO de l’aéroport. Il n’est pas encore 8 h 30 quand il entre dans le centre de crise de l’aéroport, à côté de son bureau. Il reçoit un SMS. C’est le système automatique d’appel, qui contacte en parallèle toute une série d’intervenants, en cas d’accident. Le message est limpide : « Ceci n’est pas un exercice : attentat à l’aéroport. » Un choc. Un de plus.
Il entre le premier dans le centre de crise, avec un collaborateur. La pièce est prête. Des dizaines de téléphones, un mur vidéo avec toutes les images des caméras de surveillance, la télévision, les télécommunications. Un système de vidéoconférence pour rester en contact avec le Centre fédéral de crise. A 8 heures, dix personnes sont dans la salle. A 10 heures, cinquante. La police, l’armée, la Croix-Rouge, un collaborateur du gouverneur, la sûreté, les pompiers, etc. « A un moment donné, quelqu’un rentre et annonce des tirs à la Kalachnikov dans le terminal , se souvient le numéro 1 de l’aéroport. Je dis immédiatement au représentant de la police de protéger le bâtiment, ici, parce qu’il y a peut-être encore des terroristes. La police poste des hommes armés devant l’entrée. »
Arnaud Feist tente d’organiser l’évacuation. La première des priorités. On essaie de regrouper les gens valides à quelques centaines de mètres du hall des départs, du côté de chez DHL. Et puis on opte pour un hangar de maintenance de Brussels Airlines. Le patron appelle son homologue Bernard Gustin, CEO de la compagnie. Qui accepte immédiatement.
Les « kakis » sont envoyés en rue. L’armée se met au service de la police. « On avait décidé de mettre 200 militaires en plus à Bruxelles, et 200 en réserve autour de la capitale », ajoute le ministre. « En interne, la réactivité a joué », précise le capitaine de frégate Guy Schotte.
« Tous ceux qui étaient disponibles ce jour-là sont sortis et sont venus renforcer les dispositifs dans les rues. Les gens en repos ont travaillé aussi. » Retour à l’aéroport. Arnaud Feist l’a fait fermer depuis longtemps. Tous les blessés lourds ont été évacués. Midi approche. Et plusieurs milliers de personnes attendent toujours dans le hangar mis à disposition par Brussels Airlines. Le CEO passe deux, trois coups de fil à des sociétés de catering, pour commander des sandwiches pour 2.000 personnes. Ils arriveront. Tout comme des centaines de plateaux-repas.
Mohamed Abrini, lui, est déjà loin. On ne sait où. L’homme au chapeau et à la veste blanche, arrivé avec ses deux compères à l’aéroport, en est reparti vers 7 h 55, laissant Ibrahim El Bakraoui et Najim Laachraoui se faire exploser, seuls. L’homme avait repris la route à pied. Des images de vidéo-surveillance diffusées deux semaines plus tard, on déduira son parcours. On le voit à 7 h 58 près de l’hôtel Sheraton de l’aéroport, à 8 h 50 à Woluwe-Saint-Etienne, à 9 h 42 place Meiser, à 9 h 50 place Dailly, à Bruxelles. Et puis plus rien. Volatilisé.
Le 22 mars, pourtant, il n’aura pas fallu longtemps pour que l’on connaisse son existence. En deux temps.
Grâce au chauffeur de taxi d’abord, celui qui l’avait amené avec ses complices sur le lieu de leurs crimes. C’est en entendant la nouvelle de l’attentat que l’employé avait fait le lien avec les personnes qu’il a embarquées tôt, le matin. Il guidera les policiers jusqu’au logement conspiratif de Schaerbeek, où sera découvert dans l’après-midi tout un arsenal, dont les valises que le taximan n’avait pas voulu embarquer, faute de place. La chasse à l’homme a commencé.
Grâce aux services de l’aéroport ensuite. Vers 12 h 30 selon Wilfried Covent, responsable de la sécurité à l’aéroport. « Un de nos collaborateurs qui visionnent les images vidéo pour essayer de comprendre ce qui s’est passé repère l’image de personnes, qu’il identifie comme les terroristes, se remémore Arnaud Feist, CEO de Brussels Airport. Mais il constate qu’ils sont trois, et qu’ils ont trois sacs identiques. Il vient tout de suite nous en parler. Potentiellement, il y a une troisième bombe dans le hall. » « Heureusement, le hall étaient quasi désert, seuls les enquêteurs étaient alors sur place », ajoute Wilfried Covent. La photo sera diffusée dans l’après-midi. Plus tard, vers 15 h 45. La police, elle, est prévenue, le parquet également. Le service de déminage (Sedee) passe à l’action. Le sac sera retrouvé. « Grâce au super boulot des services de sécurité de l’aéroport, tient à saluer Nicolas P., commandant-capitaine du Sedee. C’est grâce à leurs analyses des images qu’on a pu savoir où l’homme au chapeau avait laissé son trolley. »
Le sac est détruit, vers 14 heures « Le service de déminage hésitait entre deux options, assure un ministre. Déminer ou faire exploser. Ils ont opté pour une explosion contrôlée, qui a d’ailleurs fait énormément de dégâts, avec un cratère de quatre mètres. Mais ils n’osaient pas faire autrement ».
Un drame évité de peu
N’empêche. Le drame a été évité de peu. Les pompiers en sont conscients. « La police et le service de déminage nous ont dit où se trouvait la bombe, glisse Cédric Leduc, 37 ans, un des pompiers présents à l’aéroport. On avait couru pendant des heures à côté, avec les collègues, sans nous douter de rien. Une bombe avec un équivalent de 200 kilos de TNT. La plus forte des trois… »
Charles Michel, lui, a pris la parole. Après avoir communiqué par tweets, le Premier ministre a organisé sa première conférence de presse en fin de matinée. C’est un signe : la communication se structure. Une seconde conférence aura lieu dans l’après-midi, après un conseil national de sécurité. « La question de la communication n’était pas facile, se souvient Koen Geens. Fallait-il le faire ? Ou pas ? Et que dire ? La seconde fois, nous avons délibérément décidé de ne pas répondre aux questions de la presse. Nous voulions communiquer pour des raisons de confiance, de sécurité. Nous voulions rassurer le citoyen. Nous ne pouvions encore donner d’informations précises. »
Facebook, à cette heure, a déjà activé son bouton « Safety Check », qui permet aux utilisateurs de se signaler vivant ; la Croix-Rouge néerlandophone a lancé son propre site internet, où chacun peut donner signe de vie.
Les mots de Charles Michel, ce matin-là, sont lourds. « Ce que nous redoutions s’est réalisé. Deux attentats se sont produits ce matin. L’un à Zaventem, l’autre à Maelbeek. Nous savons qu’il y a de nombreux morts, de nombreux blessés, parfois gravement. Des préoccupations existent pour d’autres sites. Nous travaillons à leur sécurisation. Nous devons faire face en étant unis. »
Aucune précision quant à ces « autres sites ». Mais sur le terrain, les fausses alertes se multiplient pourtant. Une alerte à la bombe est enregistrée à l’hôpital Saint-Pierre, les démineurs y feront exploser un paquet. Une autre à la rue de la Loi. Le plan « Violet » est activé dans les hôpitaux anversois, plus personne ne peut en sortir.
Mais l’inquiétude est surtout à Maelbeek. La rumeur est là, enveloppante. Elle voit un second terroriste. Une seconde bombe. Des indices existent peut-être. Sans doute les enquêteurs ont-ils déjà visionné les images de la rame mortifère, et reconstruit les dernières minutes de son trajet. Peut-être ont-ils donc déjà repéré Osama Krayem et Khalid El Bakraoui à Pétillon, quatre stations en amont ; avec leurs deux sacs similaires, avec le premier qui ne monte pas dans la rame. Suffisant pour nourrir les pires craintes. Un enquêteur confirme ce travail d’analyse, mais sans toutefois vouloir le dater avec précision.
Bruxelles doit revivre
A Maelbeek, deux colis suspects seront neutralisés, par les hommes du commandant Marteen V., qui a commandé les opérations pour le service de déminage. Fausses alertes, ce n’étaient que des bagages abandonnés par des voyageurs. Le commandant, sur place, est frappé par l’horreur : « Quand on descend l’escalier, on tombe dans le trou de l’enfer. L’alarme rugit. Et tout n’est que débris, décombres, restes de corps. J’ai déjà été en Afghanistan, mais ici, c’est plus hallucinant encore. C’est l’horreur absolue. Le plus dur, je trouve, est peut-être le bruit des GSM des victimes. Ils ont sonné pendant tout ce temps, les familles essayaient de les joindre. Un des appareils a sonné pendant un quart d’heure près d’une victime. A un point tel que j’ai pensé prendre le téléphone. Mais j’aurais dû dire quoi ? Je ne savais qui serait au bout de la ligne. J’y ai pensé longtemps après. »
Il faudra attendre midi pour que certains osent évoquer une levée partielle de la menace. « On s’est dit qu’on devait, en étant très prudent, sans prendre le moindre risque, essayer de revenir le plus vite possible à une situation plus ou moins normale, explique Jan Jambon (Intérieur). Nous n’avions pas de certitude, bien sûr, mais quand on regarde Paris ou le 11-Septembre, on voit bien que les attentats sont souvent rapprochés. Ici, nous avions eu celui de 8 h, celui de 9 h 10. Et puis, rien sur le terrain, à part quelques fausses alertes. Nous avons donc décidé d’essayer de revenir à une situation plus ou moins normale pour la pointe du soir. » D’autres, comme le bourgmestre de Bruxelles Yvan Mayeur, avoueront avoir toutefois avoir vécu toute la journée dans la crainte d’un troisième, d’un quatrième attentat.
Revenir à la normale. Le mot est lâché. Ce sera le leitmotiv de l’après-midi. Personne, à Bruxelles, ne veut revivre le « lockdown » qui avait fait de la capitale une ville morte, après les attentats de Paris. Les décisions sont prises : il faut relancer la Stib, rouvrir les gares.
Des réunions se succèdent, tout l’après-midi. On décide de réautoriser l’accès des gares bruxelloises vers 16 heures. Presque toutes. Celle de Zaventem, Schuman et Luxembourg resteront fermées. « La SNCB nous a demandé si on pouvait amener des renforts », se rappelle le ministre de la Défense Steven Vandeput. Ils aideront au contrôle des voyageurs entrant dans les gares bruxelloises, causant d’interminables files sur les trottoirs. C’est le prix à payer pour la sécurité. Ou le sentiment de sécurité.
La décision de rouvrir une partie du réseau Stib, elle, est prise, vers 14 h, 14 h 30. Le CEO, Brieuc De Meeûs, venait alors d’enregistrer et diffuser une vidéo à son personnel. Pour le rassurer. Pour l’encourager. Extrait : « Nous devons, nous devons nous serrer les coudes (sic). Tous nous vivons, 8.000 que nous sommes, ces mêmes événements (…) Nous sommes stibiens jusqu’au bout et jamais, je vous le dis bien, jamais, nous ne nous rendrons. »
Des militaires sont appelés en renfort pour aider le personnel de la société de transports. Mais ils n’arriveront qu’en début de soirée. Et vers 16 heures, des premières lignes peuvent rouvrir. Onze lignes Noctis, et 2 lignes de tram. Une partie de la ligne de métro 2 sera rouverte, sur 8 stations, vers 21 heures.
« C’était très important de montrer à la Région et à ses habitants que, malgré les horreurs du matin, on voulait continuer », ajoute De Meeûs. Le personnel est majoritairement partant.
« Les permanents syndicaux étaient de bonne composition, commente-t-on au sein du gouvernement bruxellois. Sur le terrain, certains délégués essayaient d’exploiter la situation, il y avait un peu de surenchère. Mais les permanents étaient très bien. On a fait passer le message qu’on ne pouvait pas accepter que les terroristes paralysent la ville. Mais évidemment, c’était un peu difficile à expliquer qu’après Paris, on a tout fermé alors qu’ici, après un attentat, on rouvrait. »
On communique, alors. Beaucoup. Peu après 14 heures, Yvan Mayeur tient une conférence de presse à l’hôtel de Ville. Le ministre-président Rudi Vervoort a été convié. « La haine de l’autre et le fanatisme ont frappé au cœur de Bruxelles, lâche le bourgmestre de Bruxelles. J’en appelle à la solidarité de tout le pays, de tous les Belges pour notre capitale. Un énorme travail nous attend pour refaire de Bruxelles une ville ouverte et cosmopolite. » Rudi Vervoort embraie : « Bruxelles triomphera de l’obscurantisme. Nous ne laisserons personne attaquer lâchement nos valeurs. » Les deux hommes veulent rassurer, annoncent la réouverture d’une partie du réseau Stib. Un conseil de sécurité régional est programmé pour 15 heures. Toutes les évaluations et mesures seront prises. « Les écoles peuvent fonctionner », assure Mayeur, qui lance un appel aux jeunes : « Ils ont la responsabilité de construire une autre société que celle-ci ».
Au cœur de la ville,
on a sorti les craies
Sur le terrain, le Premier ministre, accompagné de Jan Jambon et Jacqueline Galant, se rend à l’aéroport, saluer les équipes de secours. Puis à Maelbeek, faire de même. Avant de présider un nouveau Conseil de sécurité, à 17 heures. Daesh vient alors de revendiquer les attentats.
L’après-midi avance. L’effervescence retombe. D’un cran. Un petit cran. Sur les télés, qui vont bientôt accueillir et s’échanger à tour de rôle les ministres, les mêmes images tournent et retournent. L’effroi est toujours là, bien sûr, mais il laisse doucement place au recueillement, aux questions. Sur la place de la Bourse, au cœur de Bruxelles, on a sorti les craies. Les lieux sont devenus depuis quelques heures un point de rassemblement, le sol un tableau d’hommages, rempli de messages de tristesse, d’espoirs. Messages exutoires, parfois. La foule va y grossir, jusque tard dans la soirée. Beaucoup d’acteurs qui ont vécu ce 22 mars aux premières loges y passeront, ce jour-là.
Dans les hôpitaux aussi, le calme est revenu. Le flux de blessés s’est tari. Certaines équipes sont relevées. Les premiers intervenants décompressent.
Ils craquent, parfois. Une aide est apportée. « Nous avons eu un premier debriefing psychologique vers 16 heures », se souvient Marie-Astrid de Villenfagne (à St-Pierre). « Chaque équipe raconte un peu, on visualise. Sur place, on n’a quasi pas parlé, les mots sortent plus tard. Je n’avais jamais trouvé utile une aide psy pour moi, même si j’y encourage les équipes. Mais là, je me suis laissé guider comme les autres. »
« Quand on est dans le soin, l’émotionnel reste en suspens, renchérit Maximilien Thoma (à St-Luc). On veut alors être le plus efficace. Après, cela peut s’extérioriser. »