Le gouvernement Michel va créer un cadre légal pour autoriser les paris en direct. En permettant l’interdiction dans les secteurs confrontés aux matchs truqués.
La tendance, dans le monde des paris en ligne, est au « live betting ». En français : le pari en direct. Bref, on mise sur un match pendant qu’il a lieu. En football, on peut par exemple miser sur le nombre de goals marqués entre la 30 e et la 45 e minute ; sur la prochaine équipe qui va se prendre un carton jaune ; ou sur le fait que le total des buts marqués en seconde mi-temps sera pair (ou impair). Les sites de paris rivalisent d’ingéniosité et peuvent proposer plus d’une cinquantaine de paris différents en direct, pour un même match. Idem pour le tennis. Au départ, on misait simplement sur le résultat final de la rencontre. Maintenant, on peut parier sur « quel sera le premier joueur à gagner trois jeux dans le premier set ? ». Ou mettre une pièce sur le fait que le deuxième jeu ira aux égalités (40-40).
Dans le secteur, on entend que ces paris en direct pèsent désormais plus de 50 % des paris en ligne. Chez Ladbrokes, qui exploite aussi des agences physiques, le live betting représente « 20 à 40 % des paris, en fonction de l’événement ». Des chiffres en croissance permanente.
Pourtant, la législation belge ne pipe mot sur ce phénomène. On navigue en plein vide juridique. Légal ou pas ? Les interprétations divergent. Quand les paris en ligne ont été autorisés (et régulés) dans une législation, ces paris en direct n’existaient pas. On n’avait donc pas vu venir le coup. Ni pour les autoriser, ni pour les interdire. La loi actuelle n’interdit en effet que trois types de paris :
ceux qui mettent en danger l’ordre public, ceux qui sont contraires aux bonnes mœurs et ceux dont le résultat est déjà connu. Est-ce que tout type de pari qui n’est pas interdit est par définition autorisé ? Ou, à l’inverse, est ce que ce qui n’est pas permis explicitement est interdit ? Les opérateurs ont tranché, en lançant sans scrupules leurs paris en direct. Et ça cartonne.
Oui, mais…
Avec deux guerres de retard, voici que le législateur s’en mêle. Dans un projet de loi fourre-tout sur les jeux de hasard, porté notamment par le ministre de la Justice Koen Geens (CD&V), la majorité vient de déposer un amendement permettant de faire un peu de clarté sur les paris en direct. La N-VA ayant cosigné l’amendement, il devrait logiquement être voté et se transformer tout prochainement en loi.
Que dira-t-elle, cette loi ? « Les paris durant un événement dont l’issue n’est pas encore connue sont autorisés sauf si la commission (des jeux de hasard, NDLR) a estimé que des possibilités de paris étaient exposées à la fraude. »Donc, on autorise ce type de pari en donnant tout de même un contre-pouvoir au régulateur (la commission des jeux de hasard) qui pourra interdire les paris sur des événements exposés à la fraude.
« Il ne s’agit pas d’un événement spécifique mais plutôt de certaines catégories d’événement, comme des matchs de tennis dans de petits tournois hors de la vue des caméras », justifient les députés ayant cosigné l’amendement. Yannick Bellefroid, administrateur délégué de Ladbrokes Belgium, voit plutôt cet amendement d’un bon œil. « Je ne suis jamais défavorable à une mesure qui permet d’imposer davantage de règles pour garantir l’intégrité des paris. Mais si on veut renforcer l’intégrité, je trouverais logique qu’on impose aux opérateurs de ne pas pouvoir prendre de paris sur les équipes qu’ils sponsorisent. Or 15 des 16 clubs de Division 1 sont sponsorisés par un opérateur… Ça, c’est un vrai problème d’intégrité. »
Insultes et mafia
Dans son récent avis que Le Soira pu se procurer, la commission des jeux de hasard voit aussi cet amendement sur les paris en direct comme une avancée car il « prévoit à juste titre la possibilité d’intervenir si les paris posent des problèmes d’intégrité »
. Le régulateur voit dans le live betting un risque accru « d’interventions illicites pour assurer le gain d’un pari placé. Nous constatons cela avec les insultes proférées par les parieurs à l’encontre des athlètes, mais aussi avec l’émergence de réseaux mafieux qui menacent le sport ».
Une enquête est ouverte, en Belgique, sur un réseau criminel de matchs truqués dans des petits tournois de tennis. Ce samedi, nos confrères du Monde publiaient d’ailleurs une série de témoignages de joueurs classés au-delà du top 100, qui ont déjà fait face à des demandes de bidouillages de match. Genre : « Tu perds le premier set et je te donne 5.000 euros. » La joueuse belge Ysaline Bonaventure, elle, publiait récemment sur Facebook des copies de messages d’insultes envoyés par des parieurs frustrés. « Après chaque match, j’en reçois plus ou moins dix, que je gagne ou perde le match. » Pas de doutes, le régulateur a du pain sur la planche…
XAVIER COUNASSE