Koen Geens proposera une amélioration du statut des aumôniers et conseillers laïques. Visite à Saint-Gilles où des détenus louent leur travail dans un système carcéral exsangue.
Le ministre de la Justice Koen Geens (CD&V) soumettra prochainement au Conseil des ministres un projet d’amélioration du statut des aumôniers et conseillers moraux œuvrant dans les établissements pénitentiaires. Cette annonce fait suite à une rencontre organisée par la plateforme multiculturelle « Jail & Justice » qui a permis à 45 représentants des cultes reconnus de visiter la prison de Saint-Gilles et de débattre avec le ministre, des aumôniers et conseillers moraux et des détenus.
Chapelles, « petite mosquée »
Saint-Gilles est la plus grande maison d’arrêt du pays. Ses 792 détenus préventifs (pour une capacité de 579) y passent en moyenne 4 mois, assurant annuellement 4.500 « entrants » à cette « porte d’entrée carcérale », selon son directeur Jurgen Van Poecke. Pour rejoindre les lieux de culte, il faut emprunter les vieux escaliers qui mènent à une coursive où voisinent la chapelle catholique, celle partagée par les orthodoxes et les protestants, et la « petite mosquée », comme l’appelle Brahim Bouhna, l’aumônier musulman. Les détenus y sont admis deux à trois fois par semaine, à raison de 25 maximum. « Les demandes sont très nombreuses, explique Brahim Bouhna, qui s’occupe de plus de 400 détenus avec ses trois collègues musulmans (pour un total d’un équivalent temps plein). La plupart ne savent pas prier, constate-t-il. Ils ne connaissent même pas la première sourate » . À cet enseignement religieux, destiné aussi à rompre les mythes colportés par le radicalisme. Il y a surtout, les entretiens en cellule, la libération de la parole, le souci de faire sortir le détenu du déni de ce qu’il a pu commettre. Geneviève Frère, aumônière catholique, ajoute à tout cela l’humanité à rendre aux détenus, cette dignité qu’un système pénitentiaire vieillot, désargenté, emporte en même temps que la privation de liberté. « La seule personne qui me visite, c’est Dieu » , a dit au cours de la rencontre l’un des détenus vantant l’importance des aumôniers dans sa vie naufragée.
Des détenus présents ont embrayé sur la question de dignité vantée par les aumôniers des différents cultes. En constatant très concrètement ce qui l’altère : l’affaiblissement de l’assistance sociale, les restrictions sur le tabac gratuit, l’affaiblissement de la solidarité entre détenus, les humiliations subies lors de fouilles « à nu » à l’issue des visites.
À l’origine, Ducpétiaux
En soulignant l’importance des aumôniers et des conseilleurs laïques au sein des prisons, Koen Geens a soutenu qu’ils « aident à préserver la dignité et le respect et accompagnent les détenus dans la recherche intérieure du Bien » . Cette « recherche intérieure du Bien » est au cœur du système « cellulaire » mis en place au XIX e siècle par Ducpétiaux, dont la prison de Saint-Gilles constitue la concrétisation des théories. Son projet pénitentiaire se fondait sur l’idée que l’isolement cellulaire, calqué sur la vie monastique, était à même de conduire le délinquant à la réflexion et à l’amendement ; que l’isolement le préserverait de la contamination par le côtoiement d’autres criminels. Il professait que l’organisation matérielle de la prison « dépendait de l’introduction de l’élément moral et religieux dans la discipline », proclamant en 1848 que « dans nos contrées, c’est au catholicisme d’assurer la régénération des prisonniers ». Le père-aumônier, dans sa structure paternaliste, s’adossait ainsi au père-directeur et aux pères-surveillants, unis dans cette mission de rédemption et de réintégration du criminel dans la société.
Les aumôniers et conseillers moraux d’aujourd’hui ne sont plus – et c’est heureux – ceux fantasmés par Ducpétiaux. Le système pénitentiaire, lui, a de la peine à se moderniser. Parce qu’il n’est pas un enjeu politique et que l’Etat n’a ni l’envie ni les moyens d’endosser la responsabilité concrète d’une réinsertion réussie…
MARC METDEPENNINGEN