Koen Geens l’avait glissé à l’occasion d’une interview de rentrée, accordée au Morgen le mois dernier : il allait travailler, annonçait-il, à des « assises 2.0 ». Les irréductibles des assises « ne seront pas déçus quand ils verront comment la procédure sera remplacée à moyen terme », ajoutait-il alors en qualifiant la période actuelle de transition.
A l’heure où l’un des procès d’assises les plus médiatisés de la décennie se clôture par un acquittement, le cabinet du ministre de la Justice va plus loin : les assises nouvelle mouture pourraient comporter un jury populaire allégé, passant de douze à six jurés, et des experts (psychologues, criminologues…) pourraient venir épauler les magistrats « en tant qu’assesseurs » . Le procès serait plus court, « mais on conserverait bien l’oralité des débats » , précise la porte-parole du ministre.
Le projet en est aux prémisses, « en brainstorming avec des pénalistes » , explique le cabinet. Puis il sera débattu en commission et il devra être adopté ; ces « nouvelles assises », devenues « chambres criminelles », pourraient voir le jour d’ici deux bonnes années.
Une marche arrière, sept mois après la quasi-suppression des assises ? On sait en tout cas que les dossiers de meurtres « correctionnalisés », pliés en une ou deux journée(s), font grincer des dents.
Des recours
contre la réforme
On sait aussi qu’avocats.be, l’Ordre des barreaux francophone et germanophone de Belgique, a introduit cet été un recours à la Cour constitutionnelle contre certains articles de la réforme Pot-Pourri 2. Selon le recours, la quasi-suppression des assises violerait l’article 150 de la Constitution permettant aux personnes accusées des crimes les plus graves d’être jugées par un jury populaire et soustrairait, par le biais de circonstances atténuantes, les justiciables à leur juge naturel.
« Aucun motif relatif à la répression adaptée en cas de circonstances atténuantes n’est invoqué ́ » , souligne le recours .
La Cour constitutionnelle ne se prononcera pas avant la fin 2017 ; on attend actuellement le mémoire de défense du gouvernement. « On a contourné une procédure complexe, bien élaborée, qui avait tout son équilibre , explique Patrick Henry, président d’avocats.be. Il fallait réformer, mais pas tout contourner pour une réformette à la va-vite, alors qu’avec le procès Wesphael, tout le monde a pu constater que la cour d’assises était un outil qui peut, certes, être amélioré, mais qui est bien adapté. »
« Tout risque d’aller en appel »
« En juin dernier, j’ai réuni tous les présidents des tribunaux de 1 re instance du ressort pour voir comment aborder l’examen des dossiers de meurtres correctionnalisés , explique Marc Dewart, 1 er président de la cour d’appel de Liège. J’ai insisté sur le fait qu’il fallait veiller à ne pas faire de ces anciennes affaires d’assises des procès uniquement basés sur le scriptural, comme le sont les autres dossiers correctionnels. Il a donc été décidé de faire une audience d’introduction, pour régler la question de savoir qui on va entendre. Mais il a aussi été décidé de garder une souplesse dans le système, de ne pas déterminer d’avance que tel type de témoins, par exemple, serait systématiquement entendu… Evidemment, si en appel on fait des quasi-assises et qu’en 1 re instance, on traite ces dossiers comme n’importe quel dossier correctionnel, tout risque d’aller en appel ! »
Quant au projet d’ assises 2.0 , le 1 er président n’est pas étonné qu’il surgisse La mise en pratique du principe de correctionnalisation de tous les crimes aurait rapidement montré ses failles : « Avec les assises, on était jugé de la même manière dans tous les coins de la Belgique, on avait une procédure uniforme… Maintenant, tout est entièrement laissé à l’appréciation du juge correctionnel, tant pour ce qui est de l’opportunité de correctionnaliser que pour l’audition des témoins, et c’est parfois très différent ! Par contre, les assises telles qu’elles sont aujourd’hui difficilement gérables pour certains dossiers, comme ceux de terrorisme ou de grand banditisme. » Pour Marc Dewart, c’est une « formule mixte » qu’il faut trouver, « à la française, par exemple ».
Une formule mixte, c’est ce qu’ont préconisé les experts qui ont planché sur la réforme du code d’instruction criminelle. Le rapport qu’ils ont rendu écarte le jury populaire, « parce qu’être jugé par des gens qui ont une connaissance du droit, c’est avoir une justice de meilleure qualité » , estime M e Kennes, un des auteurs de ce travail.
Par contre, ces experts sollicités par le ministre Geens sont unanimes sur l’oralité des débats : « Quand on arrive devant un tribunal correctionnel aujourd’hui et qu’on demande l’audition d’un témoin, on vous répond invariablement qu’on n’est pas aux assises, alors que l’oralité des débats ne leur est pas exclusivement réservée ! » , rappelle M e Kennes. Le projet ébauché est celui d’une cour d’assises « professionnalisée », dont on aurait seulement supprimé quelques « témoins inutiles » . Et si la Cour constitutionnelle estime que le jury populaire doit être conservé ? « Notre travail est une proposition, qui peut évidemment être adaptée. »
LAURENCE WAUTERS