"Seules l’unité et la coopération peuvent nous sauver"

op 02 april 2016 09:53 Le Soir

Pour Koen Geens, les polémiques post-attentats « sont indignes de notre démocratie ». Le ministre de la Justice ne nomme personne mais dénonce la récupération politique. « Ne nous trompons pas d’ennemi : l’ennemi est au Moyen Orient, il n’est pas ici. »

C’est un Koen Geens fatigué qui nous reçoit jeudi après-midi. Le ministre de la Justice (CD&V) plaide pour un exercice collectif d’autocritique après les attentats, mais sans arrière-pensée politique, insiste-t-il. Maintenu en poste malgré son offre de démission, il se montre plus déterminé que jamais à exécuter ses réformes qui, dit-il, apportent déjà une série de réponses aux dysfonctionnements apparus, ces derniers jours, dans le système judiciaire.

Au Parlement, mardi, vous vous êtes lancé dans une vibrante défense de l’action du gouvernement…

Ce que j’ai voulu dire, c’est que le gouvernement et les différents départements mettent tout en œuvre pour gérer la lutte contre le terrorisme. Dans les trente mesures annoncées depuis Verviers, j’en ai exécuté quinze et six sont à l’examen au Conseil d’Etat. Je veux bien accepter, au nom du gouvernement, au nom du pays, toutes les critiques. Mais, au niveau de la Justice, tant pour les législations, que pour le fonctionnement sur le terrain, je ne dis pas que j’ai tout fait, mais j’ai fait presque tout ce que je pouvais faire. Avec le gouvernement. J’estimais donc qu’il était important de dire que notre démocratie fonctionne.

Vous ne comprenez pas les polémiques ?

Les polémiques sur les responsabilités des uns et des autres ne sont pas dignes de notre démocratie. Nous sommes dans un fédéralisme de coopération, nous avons choisi cela, il faut l’assumer. Et donc coopérer. L’ennemi, ce n’est pas la Région bruxelloise, ni le ministre de l’Intérieur. Nous devons nous battre ensemble pour défendre le pays dans les circonstances actuelles.

Il y a eu des dysfonctionnements, notamment au niveau de la communication entre départements. Ne craignez-vous pas que cela donne du grain à moudre à la N-VA, pour démontrer que l’Etat ne fonctionne pas ?

Seules la coopération et l’unité peuvent nous sauver en l’espèce. Si on veut récupérer cette crise à quelque fin que ce soit, on fait fausse route. Daesh mène une guerre contre nous. La France, la Turquie, le Burkina Faso, le Pakistan, Londres, Madrid, la Tunisie, la Côte d’Ivoire… ont connu des attentats assez semblables. On peut expliquer certaines causes, chez nous, selon des lignes communautaires, linguistiques, religieuses, culturelles, éducatives, mais il ne faut pas perdre de vue que le problème n’est pas que belge, il est mondial. On peut avouer et reconnaître des erreurs humaines, des fautes structurelles de certains services, un manque de coopération entre services, tout est possible. Mais ne nous trompons pas d’ennemi, l’ennemi est au Moyen Orient, il n’est pas ici.

Quand Bart De Wever dénonce le laxisme du PS et du CDH, il ne participe pas à l’unité nationale…

Moi, je ne nomme personne mais je crois que je suis assez clair. Je répète : l’heure n’est pas à la récupération politique. Toute l’Europe de l’Ouest est menacée, concentrons-nous là-dessus.

La Belgique n’est-elle pas plus menacée ?

Nous devons regarder les faits avec clairvoyance. Cela ne vaut pas seulement pour Bruxelles. Monsieur Belkacem était Anversois je crois. Nous avons proportionnellement plus de foreign fighters que d’autres pays, c’est vrai. Nous devons donc tous accepter de faire notre autocritique : la Justice, la police, les grandes Villes, les polices locales, les écoles, l’Exécutif des musulmans, les CPAS… Tout le monde doit se demander pourquoi Sharia4Belgium, c’est chez nous.

Pas de récupération dites-vous, pourtant certains vous accusent d’avoir instrumentalisé votre démission et d’avoir, au passage, « cassé » la minute de silence…

Moi, j’ai seulement parlé de ma démission après la minute de silence. Et ce qui s’est passé dans la nuit de mercredi à jeudi, pouvait, pour ma part, rester confidentiel.

Vous n’auriez pas voulu que ça se sache ?

Je vais rester aussi confidentiel que possible là-dessus. Je veux juste dire qu’il est normal, selon moi, que dans ces circonstances-là, les ministres fassent preuve de détachement.

C’est-à-dire ?

Qu’ils disent au Premier ministre : « Il ne s’agit pas de moi, il s’agit de la stabilité du pays et de votre gouvernement. Malgré le fait que je ne crois pas, pour l’instant, avoir commis de faute personnelle, je connais le concept de responsabilité politique et je suis tout à fait disposé à en assumer les conséquences. » Cela ne veut pas dire que je me sentais déstabilisé, au contraire, je reste très fort dans mon engagement. Dès l’instant où on me dit de rester, je n’en parle même plus. Ce n’était pas du jeu politique !

Lundi, le gouvernement recommence son contrôle budgétaire. Vous demandez des moyens supplémentaires ?

Nous avons tout de suite dit, après mardi, qu’il ne fallait pas prendre de nouvelles mesures mais exécuter celles que nous avons annoncées après Verviers et Paris. Pour les moyens, dépensons d’abord les 300 millions dégagés pour la lutte contre le terrorisme. Il ne faut pas vouloir tout faire en même temps, il faut rester calmes.

La majorité suédoise n’a-t-elle pas trop rogné les budgets ? Vous aviez vous-même estimé que les réductions de dépenses linéaires étaient intenables pour la Justice ?

J’ai réussi à limiter les réductions de personnel à 1 % en 2015, au lieu des 4 % prévus. Et, avec les moyens supplémentaires pour la sécurité, je pense que je pourrai atténuer la réduction de 2 % imposée en 2016.

La complexité institutionnelle belge nuit-elle à l’efficacité de nos politiques, comme on l’entend maintenant ?

Est-ce que la structure européenne simplifie la gestion ? Non ! Est-ce que c’est une structure qui fonctionne quand tout le monde coopère de façon loyale ? Oui. Idem pour la Belgique. Je sais que certains chefs d’entreprise veulent refédéraliser des compétences. Je ne suis pas sourd. Moi, je veux d’abord exécuter mon plan pour la Justice, si on me laisse faire et si j’ai de la chance, parce qu’un ministre de la Justice est très vulnérable. Il faudra aussi écouter la commission d’enquête. S’il y a des recommandations sérieuses en la matière, cela prendra du temps, l’Etat ne se réforme pas en deux minutes.

VÉRONIQUE LAMQUIN