” Je ne comprends rien si on ne me l’explique pas bien en droit . “
Les avocats reconvertis(1/6)Koen Geens
”Je n’ai fait que répondre ‘oui’ à des questions que l’on m’a posées. Pas à toutes, mais à celles qui m’intéressaient.”
Nicolas Keszei
Au moment de choisir ses études supérieures, Koen Geens se tâte. “ Mes deux parents étaient germanistes. Il n’y avait pas de tradition juridique à la maison “, se rappelle le ministre de la Justice. Philo germanique, la voie était toute tracée. Koen Geens, lui, doutait toujours. “ À l’école, j’étais un peu rebelle. Le directeur, un prêtre, m’a dit que l’école serait trop petite pour moi, que je ferais la révolution dans chaque école où je passerais. Que je devais être juriste. “ Voilà. Koen Geens a écouté les conseils de son directeur, il a étudié le droit.
Il n’a jamais eu de regrets, il a suivi son cursus universitaire avec beaucoup de plaisir. Au point, en réalité, de ne pas vraiment quitter l’université. Pendant les dix premières années de sa vie professionnelle, Koen Geens a enseigné le droit à la KUL. Il a rédigé une thèse sur les professions libérales avant d’enseigner le droit fiscal, le droit des sociétés et le droit financier.
Avec l’un de ses maîtres à penser, le professeur Jan Ronse, il a repris l’école du droit des sociétés, rebaptisée Institut Jan Ronse, en 1989, après le décès de ce dernier. “ Cet institut est l’une de mes grandes fiertés, j’ai douze docteurs en droit qui en sont sortis. Un treizième va présenter sa thèse en décembre “, explique Koen Geens qui fut, avec Anne Benoît-Moury et Jean Scalais, l’un des rédacteurs du Code des sociétés.
Koen Geens n’a pas tout à fait quitté les bancs de l’université puisqu’il enseigne encore trois heures par semaine le droit des sociétés, le droit financier et la déontologie. “ Ce sont les meilleurs moments de la semaine, tout le monde m’écoute et personne ne me contredit “, s’esclaffe-t-il.
L’affaire Wagons-Lits
Koen Geens le reconnaît lui-même, il est devenu avocat un peu par hasard. Et est entré au barreau via l’affaire Wagons-Lits. Il a démarré son stage au cabinet de Jef Lievens, un ami avocat à Courtrai. “ C’était un copain que j’aidais ponctuellement sur certains dossiers, en tant que consultant externe. Il m’a demandé de venir faire mon stage chez lui “ Koen Geens, l’homme qui ne laisse pas passer les opportunités, comme on le verra plus tard.
À cette même période, Mireille Salmon, qui était l’avocate de Sodexo dans l’affaire Wagons-Lits, lui a demandé de venir l’aider. “ De l’autre côté de la barre, il y avait Xavier Dieux, l’avocat de la Générale. Par la suite, nous sommes devenus amis, au point de créer ensemble un cabinet indépendant qui, plus tard, deviendra Eubelius. “
La politique, aussi, Koen Geens y est un peu venu par hasard. C’est lorsqu’il siégeait au Conseil supérieur des professions économiques que Koen Geens a fait la connaissance d’un certain Kris Peeters, alors patron d’Unizo, la fédération des entrepreneurs flamands indépendants. “ Nous sommes devenus bons amis, nous sommes notamment allés à Saint-Jacques de Compostelle ensemble. En 2007, il m’a demandé de devenir son chef de cabinet. Ce que j’ai accepté. “ À ce moment, Koen Geens, qui dirige toujours le cabinet Eubelius, fait un pas de côté. Il reste président de son cabinet, mais ne plaidera plus jusqu’en 2009.
Puis, en 2013, alors qu’il vient de passer le rond-point de Tervuren, allant vers Bruxelles, le téléphone de Koen Geens sonne. C’est Kris Peeters, son ami cycliste, qui lui demande s’il veut bien remplacer Steven Vanackere aux Finances, au Fédéral. Une demi-heure plus tard, il recevait le même appel de Wouter Beke, le président du CD&V. “ J’ai réagi très vite. J’ai dit ‘oui probablement’. J’ai quand même demandé un peu de temps pour réfléchir. Jusque-là, j’avais une vie claire jusqu’à la fin du monde. “
Invasion dans le privé
Il a d’abord demandé à son épouse ce qu’elle en pensait. “ Son père avait été ministre flamand et secrétaire d’État. Elle m’a toujours dit qu’elle ne voulait pas épouser son père et elle a fini par le faire. “ C’est une image, bien entendu, mais elle dépeint les réalités d’une vie en politique. “ La politique, c’est une invasion dans la vie privée. J’arrive encore à passer un moment calme avec mon épouse au restaurant, mais je ne suis jamais sûr de pouvoir assister à une réunion familiale ou de partir en vacance. “
Des contraintes dont ne souffre pas trop Koen Geens qui, comme avocat d’affaires dirigeant un cabinet réputé, ne savait déjà plus tout à fait où donner de la tête. “ La grande différence, ce sont les week-ends. Un avocat peut travailler durant le week-end, mais pour un homme politique, c’est impossible, il doit être partout. On essaye de gérer un agenda commun qui rend possible la vie privée. Je pense y arriver mais mon épouse ne sera sans doute pas d’accord. “
Des regrets? Ce n’est pas le genre de la maison Geens. “ Je vais bien physiquement et intellectuellement. J’aime ce que je fais et mes compétences. Mais je ne ferais pas cela pour toutes les compétences ou pour un autre parti. “
S’il ne se souvient pas de sa dernière plaidoirie (il plaidait en moyenne dix fois par an), il se rappelle de sa dernière négociation, celle débouchant sur le départ de Duco Sickinghe de la tête de Telenet. “ Depuis le lundi, je savais que j’allais devenir ministre des Finances, mais je ne pouvais rien dire. Et pour Sickinghe, j’ai négocié jusqu’au mardi, dans la nuit. “ Ce sera son dernier acte d’avocat.
Peut-on l’imaginer revenir au barreau et enfiler sa toge à nouveau? Koen Geens élude, tourne autour du pot. Peut-être a-t-il peur que son épouse ne lise l’article. “ Dans ma vie, je n’ai fait que répondre ‘oui’ à des questions que l’on m’a posées. Pas à toutes, mais à celles qui m’intéressaient. Dorénavant, je devrai être très sélectif avant d’accepter quelque chose “, répond le ministre de la Justice. Avant de philosopher. “ Le temps devient court et précieux. “
Et demain? Il répond n’avoir jamais vraiment pensé à la suite des événements. Tout au plus souhaite-t-il avoir encore un peu de temps devant lui pour mettre en œuvre la réforme du portefeuille dont il a la charge. “ Si j’ai l’occasion de réformer la fonction de la Justice et de faire quelques réformes du droit de base, comme le droit pénal, le droit civil ou le droit économique, je serai très heureux “, explique Koen Geens, avant de conclure notre entrevue. “ Il faut vivre avec ses réussites, pas avec ses échecs. “