Dans la magistrature, la pyramide des âges est ainsi faite que, ces cinq prochaines années, au moins un tiers des 2 500 magistrats que compte notre pays prendront ou devraient prendre leur retraite. Du côté des juges de paix, le pourcentage monte même à 58 %.
Il y a plusieurs mois, des instances comme le Comité consultatif de la magistrature, le Conseil supérieur de la Justice et les associations syndicales s'étaient inquiétées des problèmes que ces départs massifs risquaient d'engendrer.
A l'époque, elles ignoraient que le phénomène allait se coupler avec des économies budgétaires drastiques. Il est, en effet, prévu que seul un magistrat sur six soit remplacé. Le vide risque donc d'être abyssal et de mettre en danger la vie même de l'institution judiciaire.
De 67 à 70ans
Pour le combler, ne fût-ce qu'un petit peu, le ministre de la Justice, Koen Geens (CD&V), a cru trouver une parade indiquait, lundi, "De Standaard" : offrir à ceux qui le désirent la possibilité de travailler à temps plein jusqu'à l'âge de 70ans alors que l'âge légal de la retraite chez les juges est actuellement de 67ans (sauf chez les pensionnaires de la Cour de cassation et du Conseil d'Etat où il est de 70ans).
Pour le moment, les magistrats partis à la retraite à 67ans, ont la possibilité de "servir" (jusqu'à 73ans) en tant que juges suppléants, une opportunité cependant refusée à ceux, de plus en plus nombreux, qui demandent une retraite anticipée (l'âge moyen de départ est désormais de 62,8ans).
Ce que propose Koen Geens, c'est que, sur base volontaire et moyennant l'accord de leur chef de corps, certains magistrats continuent à travailler à temps plein, de manière, notamment, à se constituer une pension complète.
Une réforme douloureuse
La chose est de plus en plus difficile. Il faut savoir qu'en décembre2011, le Parlement a adopté des mesures affectant le régime de pension des magistrats. Depuis le 1er janvier2012, elles sont calculées en 48es et non plus en 30es . Les changements, qui ne s'appliquaient pas aux plus de 55ans, sont entrés en vigueur progressivement, mais ils ont eu pour effet d'allonger les délais nécessaires à l'obtention d'une carrière complète, d'autant que beaucoup d'intéressés y entrent de façon relativement tardive, en raison notamment des conditions particulières d'accès à la magistrature.
Crise des vocations et gel des recrutements
De quoi, selon certains observateurs, doucher les vocations. Dans l'état actuel des choses, la justice connaît, en effet, une crise du recrutement des magistrats.
Mais il y a plus grave. Pendant des mois, pour réaliser les économies qu'on leur imposait, les ministres successifs de la Justice ont retardé la publication des places vacantes. Cela a eu (et a) pour conséquence de créer des "trous", de neuf à douze mois, parfois, entre le départ d'un magistrat et l'arrivée de son remplaçant. Autant de gagné pour les finances de l'Etat et de perdu pour l'efficacité du service public de la Justice.
Puis, le gouvernement s'est mis à diminuer les possibilités de recrutement. A titre d'exemple, en septembre2014, Christian Henry, président du Conseil des procureurs du Roi de Belgique, s'indignait que l'on ait décidé de limiter, pour2015 et 2016, le nombre d'engagements de stagiaires judiciaires pour les parquets à 48 (dont 22 pour le rôle linguistique français) alors qu'il en faudrait plus du double pour satisfaire les besoins.
Désormais, c'est de gel des engagements qu'il faut parler, comme le relevait, lundi, le vice-président du Conseil consultatif de la magistrature, Luc-François Falmagne, par ailleurs premier substitut de l'auditeur du travail de Bruxelles. Selon lui, il n'y a plus assez d'argent pour assurer des cadres complets aux juridictions.
A côté des propositions de Koen Geens, M. Falmagne évoque celle de Daniel Bacquelaine (MR), ministre des Pensions visant à permettre, à certaines catégories de travailleurs (et pas seulement les magistrats) de travailler à mi-temps pendant les cinq dernières années de leur carrière tout en touchant la moitié de leur pension.
"Pour les magistrats, le manque à gagner ne serait que de 600 euros par mois", commente-t-il. Cela serait intéressant pour le budget de la Justice et permettrait peut-être de garder au travail jusqu'au bout des professionnels aujourd'hui enclins à quitter la justice dès qu'ils en ont la possibilité.