Depuis le mois de septembre, une formation originale est proposée aux détenus de Saint-Hubert : horlogerie. « Notre pays manque de réparateurs d’horloges, il y a donc des débouchés », indique le professeur-horloger, Roland Philippart.
Chaque lundi en fin d’après-midi, treize détenus de la maison de peine de Saint-Hubert se retrouvent dans une salle de classe, à l’intérieur de la prison, autour de Roland Philippart et d’une petite dizaine d’horloges et de vieux coucous. Ils suivent la nouvelle formation proposée par l’école de promotion sociale de Libramont. Les cours s’étendent de septembre à juin prochain. « Je n’apprends pas l’horlogerie à des détenus mais à des personnes qui aiment cela et qui deviennent même passionnées par la matière. Ils ont le droit d’apprendre comme les autres. Si je peux aider à les réinsérer, tant mieux », précise M. Philippart.
Le mécanique, pas mort
Lui qui a tenu un atelier de réparation d’horlogerie à Bastogne (« Le garde-temps ») durant de très longues années, transmet sa passion à des condamnés qui purgent leur peine. « Au tout début, ils étaient une quinzaine. Quelques-uns ont abandonné car il y avait peut-être trop de théorie à leur goût ou parce qu’ils n’aiment pas de manipuler le très petit ».
Histoire, matériaux, mécanique, soudure, mathématiques… La formation touche à une multitude de domaines. « Après 1 an de formation, ils auront leur certificat en rhabillage en horlogerie. Ils pourront démonter une horloge, effectuer l’entretien complet, réaliser les petites réparations et la remonter. La formation ne vise pour l’instant que les horloges mécaniques. Pour devenir réparateur d’horloges, il faut être un minimum bricoleur et être très patient. On travaille parfois sur des pièces de 3/100e de millimètre de diamètre. Ils sont très motivés et sont si fiers d’entendre leur horloge en panne, faire à nouveau tic-tac ». Malgré l’essor des horloges électriques et digitales, l’horloge et les montres mécaniques ne sont pas en voie de disparition, selon notre interlocuteur. « Tout le monde a chez lui l’horloge d’un grand-père ou d’une grand-mère, à entretenir ou à réparer. Et de nouveaux modèles, mécaniques, sortent encore sur les marchés, comme cette superbe montre Richard Mille à 2,1 millions d’euros ! »
Les débouchés ? « Un ancien détenu peut très bien se lancer comme indépendant et ouvrir un atelier de réparation ou alors, travailler chez un vendeur en horlogerie qui voudrait lancer un service après-vente, de réparation, à ses clients ».
Liste d’attente
La directrice de la prison de Saint-Hubert, Brigitte Loop, avait lancé un sondage parmi les 200 détenus afin de proposer cette nouvelle formation.
« J’ai pu voir que bon nombre d’entre eux étaient intéressés, on a donc donné notre feu vert. Au printemps prochain, avec le Centre d’Orientation et de Formation, nous lancerons une autre nouvelle formation, celle de cariste. Apprendre aux détenus à manœuvrer des clarks. Ils utiliseront les clarks de la prison et ceux qu’apportera le COF. Nous ne pourrons former qu’une dizaine de détenus à la fois. Là aussi, la liste d’attente est longue ».
Toutes ces formations (lire ci-contre) permettent aux détenus de se qualifier pour trouver plus facilement un job une fois libérés. Celle en horlogerie leur permet aussi… de tuer le temps, intelligemment.
Sudpresse - Prisons francophones : 900 détenus en formation
Selon Gery Toussaint, de la régie du travail pénitentiaire (Cellmade), quelque 900 détenus suivent une formation actuellement dans l’une des prisons de Wallonie et de Bruxelles (excepté la prison de Saint-Gilles). Sur un total, donc, d’environ 5.700 détenus.
D’après une étude de la CAAP (Concertation des Associations Actives en Prison), qui remonte à 2014, 75 % des détenus sont très peu instruits ou qualifiés : la plupart des détenus n’ont pas de diplôme ou disposent seulement d’une formation de base. 30 % seraient analphabètes, 45 % n’auraient que leur CEB et 19 % leur diplôme de secondaire inférieur.
Quantité d’autres formations sont dispensées dans les prisons du pays. « Nous veillons à dispenser des formations qui offrent des perspectives d’emploi, pour des métiers en pénurie », indique Gery Toussaint.
Voici, un petit éventail non exhaustif, des formations proposées. Elles varient selon les prisons et cela bouge beaucoup.
Des cours de cuisine sont dispensés dans les prisons d’Ittre, de Mons et de Namur ; cours de soudure à Andenne et à Marneffe ; cours d’horticulture à Marneffe ; maçonnerie et carrelage à Marneffe. « À Marneffe, les détenus sont même en train de construire une petite maison, à très petite échelle (à l’intérieur de l’atelier), et ils apprennent toutes les nouvelles techniques d’isolation, avec les nouveaux matériaux écologiques », précise M. Toussaint.
Pas mal de prisons proposent aussi des cours d’alphabétisation et des remises à niveau (français, maths...). De même que des cours de gestion, d’informatique... En septembre prochain, la prison de Namur va lancer une formation en électricité (raccordement...) tandis que Saint-Hubert va proposer une formation de cariste (comme à Marneffe et Lantin).
Permis de conduire
Les détenues de la prison pour femmes de Forest (Berkendael) peuvent suivre une formation en coiffure.
Une formation de tôlerie en carrosserie est proposée à Lantin.
Enfin, de plus en plus de prisons proposent une préparation au permis de conduire théorique.
Sudpresse - Pour suivre ces cours, le prisonnier touche 0,70 €/heure
Les détenus qui suivent une formation qualifiante, comme celle d’horloger, touchent une allocation de 0,70 € de l’heure. Ces allocations sont plafonnées à 25,20 € par semaine.
Le montant vient d’être revu à la hausse (en date du 1er janvier 2020). Auparavant, les détenus qui suivaient une formation étaient payés 0,62 € de l’heure, sans aucun plafond. Et ce montant pouvait atteindre 0,69 € par heure pour ceux qui « faisaient preuve d'une application particulière ou réussissaient la formation ».
Qui paie ces gratifications? La régie du travail pénitentiaire (Cellmade). Celle-ci réalise quelques bénéfices lorsqu’elle facture à des entreprises extérieures de la main-d’œuvre carcérale. L’entreprise paie un salaire horaire plus élevé que le salaire réellement versé au détenu. Ce surplus permet à Cellmade de payer les détenus qui suivent ces formations qualifiantes et aussi d’acheter le matériel nécessaire. Notons que si les cours ne peuvent être donnés à cause d’une grève du personnel pénitentiaire, (et que le cours ne peut être récupéré), le détenu touchera quand même sa gratification.
Françoise De Halleux