a fine fleur de la police et de la justice s'est retrouvée ce mardi dans le dédale du bâtiment de la police fédérale de Bruxelles, afin de signer un document qui pourrait changer la donne en matière de lutte contre la fraude sociale. Cet accord-cadre de coopération, paraphé en présence de Koen Geens et Pieter De Crem, ministres de la Justice et de l'Intérieur, crée très officiellement des équipes communes d'enquête rassemblant police, justice et inspection sociale.
Elles auront la charge de traiter les dossiers de fraude sociale grave et organisée. "On dispose enfin d'un outil qui pourrait donner des résultats opérationnels performants", se réjouit un auditeur du travail qui n'était pas présent ce mardi, donc moins suspect de vouloir faire plaisir...
Des "Motem" créées ad hoc
Ces "Motem", ou teams d'enquête multidisciplinaires, allieront, sous la direction d'un enquêteur de la police judiciaire fédérale, des membres de l'Inami, de l'Inspection sociale, de l'Onem et de l'ONSS. Chaque équipe sera composée ad hoc et selon les besoins, à la suite d'un dossier précis et concret, et supervisée par un magistrat, auditeur du travail ou juge d'instruction. L'intérêt est bien sûr une plus grande souplesse et une adaptabilité bien meilleure.
Ces Motem ne créeront concrètement pas de nouveaux postes d'enquêteur. Mais ils laissent espérer une prise en charge plus efficace des dossiers de fraude sociale grave.
Elles répondent enfin surtout à un certain malaise observé, loin des micros, par de nombreux acteurs de cette lutte. En effet, de longue date, elle a vu deux visions s'opposer: la vision pénale - qui vise les organisations criminelles et ambitionne d'importantes saisies et confiscation - et la vision administrative, dont les résultats en termes de rentrée d'argent sont plus rapides. "C'est une forme de réponse", concède Luc Cap, directeur judiciaire de la police fédérale, qui a piloté le projet et réaffirme que la police souhaite mettre la main sur le patrimoine illégalement constitué grâce à la fraude.
"La criminalité est attirée par un marché"
Même son de cloche du côté du procureur général de Liège Christian De Valkeneer, chargé des affaires pénales sociales et signataire de l'accord-cadre. "La tentation des inspections sociales est de régler les dossiers par la voie administrative. On peut le concevoir pour les fraudes individuelles. Mais en matière de criminalité organisée, seule la justice peut traiter les avantages illégalement obtenus. Ce doit être notre fil conducteur: mettre l'accent sur les saisies et confiscations. La criminalité est attirée par un marché. Et si le risque est trop fort pour elle, elle hésitera", explique M. De Valkeneer. Selon lui, ce modèle d'équipe commune doit pouvoir être étendu à d'autres systèmes de fraude grave, comme en matière environnementale.
Des acteurs des enquêtes sociales comme Patricia Heidbreder (directrice générale de l'Inami) et Damien Delatour (directeur général de l'Inspection sociale) rappellent que ce genre de partenariat étroit a déjà existé. Ainsi, dans le dossier dit "Cachalot", le plus gros dossier de fraude aux faux assujettissements connu dans le pays, la justice et les institutions de sécurité sociale concernées ont pu se partager le boulot, la justice saisissant les avoirs des responsables de l'organisation criminelle tandis que les institutions ont réalisé les récupérations des prestations indûment octroyées auprès des assurés sociaux.
La signature de l'accord-cadre intervient après des années de test grandeur nature. Selon la direction judiciaire de la police fédérale, 338 cas de fraude sociale grave et organisée ont été traités entre 2016 et mi-2019, en Belgique. 50 l'ont été à Anvers, 38 en Flandre-Occidentale (province pilote) et 35 à Bruxelles et Liège. Parmi ces dossiers, 95 concernent le travail non déclaré, pour autant qu'il relève du dumping social, et 60 sont des dossiers d'escroquerie. Il apparaît que, dans 57% de ces dossiers, la police a coopéré avec d'autres services comprenant des inspecteurs sociaux. Et 20 de ces 338 cas ont vu les enquêteurs faire appel aux "méthodes particulières de recherche", d'ordinaire utilisées en grand banditisme ou terrorisme, telles que l'infiltration ou les écoutes.
Prise de conscience
Depuis plusieurs années, le monde politique et les autorités semblent prendre conscience du péril de la fraude grave et organisée, notamment via plusieurs lois récentes, dont la dernière sur la fraude sociale remonte à 2017. De la même manière, le parquet fédéral a fait le choix de rediriger les nouveaux magistrats qu'il a obtenus lors des années où les dossiers de terrorisme pullulaient vers la lutte contre la fraude sociale. Avec quelques dossiers emblématiques comme celui du transporteur Jost.
Reste maintenant à faire face aux problèmes endémiques de la police, à savoir un manque de main-d'oeuvre expérimentée en matière de dossiers de justice pénale financière et pénale sociale, compliqués à mettre sur pied et particulièrement techniques.
Le monde politique a réagi positivement à la nouvelle. Koen Geens (CD&V) a salué un travail de longue haleine. "Cette lutte contre la fraude sociale grave et organisée nécessite une intervention publique intégrale", a-t-il commenté, se réjouissant du résultat. Pieter De Crem (CD&V) a observé que "l'espace économique européen a, ces quinze dernières années, mis en place une construction aux conséquences parfois nuisibles. Les fraudes qui en découlent érodent et fragilisent le consensus social."