La classe moyenne n’a souvent pas les moyens d’aller en justice. Une assurance protection juridique prend en charge une partie des frais de justice. Mais est-ce suffisant ?
Il y a un an, le ministre de la Justice Koen Geens (CD&V) annonçait qu’il accorderait un incitant fiscal à quiconque souscrirait une assurance protection juridique. Le Conseil des ministres était arrivé à un accord sur la question. Cette proposition faisait partie d’un train de mesures plus large destiné à faciliter l’accès à la justice. Le ministre Geens a déclaré en interview que les primes seraient déjà déductibles fiscalement à partir de 2018. « Nous n’avons provisoirement pas plus de détails car les discussions sont encore en cours avec les partenaires sociaux », répond un porte-parole du ministre à la question de savoir où en est le projet. En coulisses, on apprend que les négociations sont plus difficiles que prévu.
L’idée du ministre Geens s’appuie sur un projet de son prédécesseur, Laurette Onkelinx (PS). En 2007, celle-ci avait lancé l’idée d’une police protection juridique meilleur marché, avec une prime d’un montant maximum de 144 euros exonérée de la taxe sur les assurances, qui est de 9,25 %. Cette exonération représente un gain de 15 euros environ pour le client. Mais la proposition de Laurette Onkelinx n’avait pas rencontré le succès attendu.
Entre deux chaises
« Le barreau est très certainement favorable à l’idée, déclare Hugo Lamon, avocat et porte-parole de l’Ordre des barreaux flamands. Tout le monde est d’accord pour dire qu’il y a un problème. Même aux prises avec une affaire compliquée, de moins en moins de ménages à double revenu vont en justice. Ce constat ne concerne pas les revenus élevés, qui n’ont pas de problème pour se payer les services d’un avocat. Nous ne parlons pas non plus des faibles revenus. Ceux-ci ont droit à l’aide juridique de deuxième ligne – les avocats pro deo – qui permet aux personnes les plus modestes de bénéficier gratuitement des conseils, de l’assistance et de la représentation d’avocats. La classe sociale concernée ici est la classe moyenne, qui se trouve entre deux chaises. »
Hugo Lamon fait remarquer que l’accès à la justice est bloqué parce qu’en quelques années, l’assistance juridique est devenue beaucoup plus chère. « La faute à une combinaison de différents facteurs : la suppression de l’exonération de la TVA pour les prestations des avocats et l’augmentation quasi concomitante des indemnités de procédure et des droits de greffe. »
L’indemnité de procédure est la partie forfaitaire des frais et des honoraires d’avocat de la partie adverse dont le paiement incombe à la partie perdante. Les droits de greffe comprennent les frais dus pour inscrire une affaire au rôle du tribunal, les frais de rédaction de documents par le greffe et les frais relatifs à l’établissement d’un document officiel permettant l’exécution d’un jugement.
Avocats conventionnés
Le ministre de la Justice souhaite que les avocats appliquent des tarifs fixes et veut fixer les tarifs pour certaines procédures. Cela signifie qu’il doit trouver des avocats qui soient prêts à travailler à ces tarifs, selon un système similaire à celui des médecins conventionnés dans le secteur des soins de santé. « Nous sommes habitués à définir nous-mêmes nos honoraires, indique Hugo Lamon. Il y a une diversité gigantesque et une grande différence dans l’offre de services entre avocats. L’un est davantage spécialisé dans un domaine précis. L’autre s’investit davantage dans ses dossiers. La proposition s’est heurtée à pas mal de critiques du côté de l’ordre des avocats. »
Le ministre ne veut pas toucher au libre choix de l’avocat. Celui qui souhaite faire appel à un avocat plus cher doit tout simplement y aller de sa poche. Mais Koen Geens veut que les avocats conventionnés s’engagent à appliquer systématiquement des tarifs fixes. « La dernière chose que j’ai entendue était que les avocats auraient le droit d’examiner la faisabilité de ces tarifs pour chaque dossier, confie Hugo Lamon. Il y a différentes pistes de réflexion mais à ma connaissance, aucune proposition concrète n’est sur la table. »
Appel ou cassation
Les assureurs sont eux aussi favorables à un incitant fiscal pour la souscription d’une assurance protection juridique. Mais le ministre veut élargir la couverture de cette assurance aux conflits de construction et aux divorces. Il veut aussi la garantie que les assureurs mettent le plafond des remboursements suffisamment haut et que les exonérations ne soient pas trop élevées. Le ministre négocie sur les garanties obligatoires et les interventions minimales mais aucun accord n’a encore été conclu. Il veut être certain que l’assurance protection juridique fiscalement déductible ne soit pas un emplâtre sur une jambe de bois et couvre réellement les frais d’une procédure judiciaire normale. De leur côté, les assureurs souhaitent que le produit retenu soit rentable.
« Nous n’avons dans notre offre aucune assurance protection juridique qui couvre les litiges de construction », déclare Vincent Locus, directeur des ventes d’Arag, une compagnie d’assurances indépendante qui ne propose que des assurances protection juridique. « Les conflits de construction entraînent par définition des frais de justice importants parce qu’un expert doit être désigné, ajoute-t-il. Si nous élargissons la couverture de nos assurances aux conflits de construction, nous devrons appliquer des primes beaucoup plus élevées. »
Les frais d’une procédure judiciaire pour un litige contractuel peuvent facilement atteindre 3.000 euros. « S’il y a appel ou cassation, ce montant grimpe à plus de 10.000 euros, précise Vincent Lotus. Et en des occasions exceptionnelles, j’ai même vu les frais atteindre 100.000 euros. »
L’assurance protection juridique la moins chère de chez Arag coûte en ce moment 80 euros par an. Une assurance protection juridique qui couvre tous les litiges contractuels revient à 125 euros. « Ces produits sont difficilement comparables avec le produit auquel pense le ministre Geens », prévient Vincent Locus.
Si la prime pour l’assurance protection juridique fiscalement déductible est trop élevée, personne n’y souscrira. Avec des primes élevées, l’assurance protection juridique fiscalement déductible manque son objectif et n’offre pas au groupe cible un accès plus aisé à la justice. Hugo Lamon comprend bien pourquoi le ministre souhaite que les litiges de construction soient couverts. « Tout le monde n’a pas un terrain à disposition sur lequel il peut construire une maison, c’est évident. Mais les conflits de construction sont fréquents et les frais de justice peuvent atteindre des sommes considérables. »
En dehors des tribunaux
A la question de savoir pourquoi le ministre souhaite absolument aussi que les divorces soient couverts, Hugo Lamon a une réponse. « Dans bon nombre de cas, les gens découvrent le tribunal en divorçant, même si beaucoup de divorces se règlent en dehors des tribunaux. » La conciliation peut également être couverte par une assurance protection juridique. « Nous remboursons les services de conciliateurs agréés en matière de divorce », précise Vincent Locus. Mais selon lui, les divorces ne sont pas les sinistres les plus fréquents dans le cadre d’une assurance protection juridique.
Aucun détail n’a encore été divulgué concernant le pourcentage de déductibilité de la prime. Sur ce point, il faut aussi que Koen Geens arrive à un accord avec son collègue des Finances, Johan Van Overtveldt (N-VA). Il faut en effet que les pouvoirs publics libèrent des budgets. Il se pourrait donc que nous devions encore patienter avant que le projet d’assurance protection juridique fiscalement déductible devienne réalité.
Ilse De Witte