À moins d’un an de la fin d’une législature particulièrement marquée par les attentats terroristes et un contexte sécuritaire, le ministre de la Justice Koen Geens (Cd&V) a accepté de faire le point et de répondre aux questions de La DH. Les nombreuses réformes qu’il a lancées, dont certaines sont critiquées avec virulence par la magistrature, les économies budgétaires demandées à son département, l’état des prisons, mais aussi l’accueil des migrants et la cohabitation avec la N-VA sont autant de sujets brûlants sur lesquels il a accepté de revenir.
La Justice manque de moyens depuis longtemps et vous avez entrepris 10 % d’économies…
“Tout le gouvernement a pris un hair cut, comme on dit, de 20 % sur les frais de fonctionnement, et dans la plupart des secteurs, on a réduit le personnel en 5 fois 2 %. Ce que vous appelez 10 %. Ce que j’ai réussi à faire, c’est que ces réductions soient moins graves pour les magistrats et pour les agents pénitentiaires. On a su limiter la réduction à en moyenne 5 à 6 %. Pour la Sûreté, il y a une hausse nette des effectifs. On est monté de 500 à plus de 600.”
Deux hauts magistrats ont critiqué les manques de moyens de la Justice et parlé “d’État voyou” et d’“État hors-la-loi”.
“Dès le début de la législature, je me suis imposé une grande réserve vis-à-vis de la magistrature. Je constate que la réserve inverse n’est pas toujours respectée et j’en prends acte.”
La détention préventive est en forte hausse. Il s’agirait selon certains de compenser vos mesures visant à faire baisser la population carcérale…
“Il y a certainement dans l’esprit de certains policiers qui ont su arrêter quelqu’un, l’idée que la personne doit être enfermée. Je comprends cela. Mais pour décider de détentions préventives, il y a des conditions à respecter.”
Elles ne sont pas toujours remplies ?
“Non. Il y a des gens qui ne présentent pas de risques mais on veut en tout état de cause qu’ils soient punis. Il est très compliqué pour l’instant de faire accepter par l’opinion publique et par les partis politiques une limitation quelconque de la détention préventive.”
Au moins deux de vos projets visant à faire baisser le nombre de détenus sont critiqués : l’arrestation immédiate (elle n’est désormais possible qu’en cas de condamnation d’au moins 3 ans au lieu d’un an) et la possibilité pour certains de purger leur peine à mi-temps.
“Ça fonctionne et ça fonctionne assez bien. D’abord, cela ne concerne pas les délits lourds. Ce ne sont pas des gens qui présentent un danger. Il faut bien comprendre que si on laisse les gens en prison jusqu’à la fin de leur peine, ils n’ont pas encore eu de contact avec la liberté. Le risque de récidive est plus grand.”
La grosse critique sur l’arrestation immédiate, c’est le sentiment d’impunité qu’elle installerait. Prenons le cas des émeutiers après la victoire du Maroc, on ne pourrait plus les mettre en prison avec cette mesure ?
“Pour les criminels sérieux, l’arrestation immédiate continue à se faire. Pour les émeutes, c’est compliqué. Si on enferme les suspects immédiatement, la procédure prend plus de temps en raison de l’intervention obligatoire du juge d’instruction. Juste en vue d’une procédure rapide, le parquet préfère assigner à bref relais par procès-verbal. Cela a permis de condamner les coupables à des peines de travail de 300 h.”
N’est-ce pas compliqué d’être ministre de la Justice dans un gouvernement où des ministres N-VA font des déclarations très fortes et parfois allant à l’encontre de l’État de droit ?
“J’ai toujours aimé faire des choses compliquées. Mais de manière générale, je crois que nous sommes dans un pays et dans un monde qui se veulent mécontents. Pourquoi ? C’est difficile de le savoir. Ce pays n’a jamais été aussi riche mais on voit dans l’Europe de l’Ouest que la culture de la méfiance s’installe. Abuser de cette méfiance et opposer les gens les uns aux autres est ce qu’il y a de plus facile. C’est ce que fait tout le temps Monsieur Trump. Je trouve qu’un homme politique raisonnable a comme devoir d’inspirer confiance. Il ne doit pas être naïf mais sérieux. Charles Michel, comme Elio Di Rupo avant lui , le fait très bien. Macron aussi en France.”
Julien Thomas
"Les visites domiciliaires ? Un compromis”
BRUXELLES Alors que les inquiétudes restent vives du côté francophone autour du projet de loi sur les visites domiciliaires, qui autoriserait entre 5 h du matin et 21 des arrestations de personnes en séjour irrégulier chez le domicile de personnes tierces, Koen Geens (CD&V) assure qu’il a cherché à trouver un compromis entre les deux opinions publiques du pays. “Pour ma part, le fait que ce projet de loi ait été introduit à la chambre au moment ou le parc Maximilien était surpeuplé de migrants est une coïncidence malheureuse. Ce que j’ai essayé de faire, c’est justement d’éviter que la police entre dans des maisons pour aller chercher des réfugiés. Contre certains membres de la majorité, j’avais dit qu’il faut un mandat d’un juge d’instruction. Là, on voit aussi comment deux opinions publiques peuvent diverger. Chez les néerlandanphones, on ne voit pas le problème et chez les francophones, c’est un problème énorme” , souligne le ministre. Mais l’inviolabilité du domicile est-elle bien respectée ? Le principe de proportionnalité est-il bien respecté, ce dont doutent certains juges d’instruction ? En d’autres termes, n’attaque-t-on pas une mouche avec un bazooka ? “Je veux bien imaginer que certains trouvent le projet disproportionné et pour d’autres, c’est le contraire. J’essaie de trouver un compromis équilibré. Ce serait in fine la Cour constitutionnelle qui jugerait de la proportionnalité.”
“Si j’apprends à tirer à mon petit-fils, il le fera”
Ces femmes et ces enfants belges en Syrie, vous en faites quoi ? Le gouvernement a indiqué que seuls les enfants de moins de 10 ans peuvent revenir. Vous êtes sur la même longueur d’onde ?
“Ce que nous avons vécu en mars 2016 était si cruel que les gens se souviennent très bien de ce qu’il s’est passé et qu’il faut parler de ce sujet avec le plus de prudence et de délicatesse possible. Au gouvernement, on m’a suivi sur le fait qu’un enfant de moins de 10 ansn même quand il a déjà appris quelques techniques terroristes ne peut pas être jugé coupable d’avoir appris ces techniques. Si j’apprends à mon petit-fils à tirer à la kalashnikov, il va le faire parce que je lui demande. Mais il y a quand même un pardon à donner à ces enfants. S’ils veulent revenir, il faut les aider. Pour tous ceux qui ont plus de 10 ans, je crois qu’il faut bien réfléchir au cas par cas. Un groupe de travail est en train de réfléchir à une procédure, mais je ne connais pas de cas.”
Pour vérifier leur identité, vous prévoyez des tests ADN ?
“Oui, au cas où il y a un problème parce que l’enfant est par exemple né en Syrie. Prenons le cas le plus simple : deux Belges qui l’auraient procréé, l’ambassade devra aider à faire un test ADN sur l’enfant afin qu’on puisse être sûr.”
Plusieurs personnes condamnées à une peine de cinq ans pour participation à un groupe terroriste pourraient bientôt être libres. Cela vous inquiète ?
“Aux États-Unis, cette préoccupation existe aussi. C’est un problème global. Il y a deux possibilités : soit cette vague de terrorisme passe et s’arrête, soit elle n’est toujours pas passée au moment où ces gens sortent de prison. Il faut en tout cas les suivre par les services locaux. J’ai ordonné de mettre dans la banque de données de l’Ocam tous les condamnés pour délit de terrorisme ou qui ont été radicalisés peut-être durant leur détention et ceux qui sortent de prison et de les mettre tous de sorte qu’ils sont d’office suivis. C’est pour autant que je sache la seule façon de faire dans un État de droit, sauf si on a un Guantanamo. Ce que je ne préfère pas.”
Ne faudrait-il pas mettre en place un dispositif spécial pour les réinsérer ?
“Oui mais je ne peux qu’une fois de plus vous dire à quel point je crois à la libération provisoire et condtionnelle pour préparer à la liberté. Si on attend la fin de peine pour faire quoi que ce soit, ce n’est plus possible d’imposer des conditions. Maintenant, il faut bien réaliser qu’il y a dans la plupart des cas une fin à une peine. Vous avez vu combien de personnes Breivik a tuées en Norvège ? Eh bien, il a reçu une peine de 21 ans. Ce qui serait chez nous inimaginable.”
Un service minimum dans les prisons
Dans son dernier rapport rendu public en mars dernier, le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants a pointé l’incapacité des autorités belges à mettre en place un dispositif permettant de garantir le respect des droits de base des détenus en toutes circonstances, même en cas de grève du personnel. “Cela risque de soumettre un grand nombre de personnes détenues à des traitements inhumains et dégradants ”, s’inquiétaient les auteurs du rapport.
De son côté, Koen Geens (Cd&V) espère encore mettre en place l’obligation d’un service minimum durant cette législature. “On doit faire quelque chose par rapport à ça. On doit faire en sorte qu’un nombre minimal de services soient rendu sen prison et que ça se passe aussi lors d’une grève. Et c’est là que le bât blesse parce qu’on n’a pas toujours pu contenter, lors des grèves de 2016, le comité contre la torture à cet égard. Récemment, je me suis rendu pour la troisième fois à Strasbourg pour en parler. Nous préparons pour l’instant une législation en matière de services garantis qui fera qu’il y ait un service minimum et que Strasbourg soit satisfait de la régularité du préau, etc.”
J. Th.