​Un SMS ou un e-mail comme preuve d’achat

le samedi 28 avril 2018 10:55 Le Soir

Le Conseil des ministres a approuvé la réforme du régime de la preuve civile. Le plafond pour qu’un document écrit et signé soit requis pour prouver un contrat sera relevé de 375 à 3.500 euros.

C’est un chantier peu banal que le ministre de la Justice, Koen Geens (CD&V) a entamé depuis plusieurs mois, en s’attelant rien moins qu’à une réforme du Code civil belge (inspiré du Code Napoléon rédigé en... 1804). Après un premier projet de loi consacré au droit des obligations fin mars dernier, Koen Geens a soumis ce vendredi en première lecture au Conseil des ministres son projet de loi concernant le régime de la preuve. Qui a donc été approuvé. « Avec cette réforme du droit de la preuve, nous franchissons à nouveau une étape vers un droit civil plus proche des personnes et plus en phase avec la société contemporaine », a indiqué le ministre de la Justice dans un communiqué. « Le droit de la preuve est une matière extrêmement importante dans les procès, confirme Dominique Mougenot, maître de conférences à l’UNamur et à l’UCL et juge au tribunal de commerce du Hainaut. Vous avez beau avoir raison, si vous n’arrivez pas à le prouver, c’est comme si vous aviez tort. »

Langage plus accessible

Outre une réécriture « dans un langage plus accessible » , le magistrat épingle deux changements importants inscrits dans le projet de loi. « Le véritable point nouveau, c’est le renversement possible de la charge de la preuve, analyse Dominique Mougenot. C’est une règle fort importante puisqu’elle détermine qui perd lorsqu’il n’y a pas assez de preuves devant le tribunal. Le projet de loi introduit la possibilité de renverser la charge de la preuve, dans des cas exceptionnels, lorsque l’application des règles normales aboutit à un résultat considéré comme inacceptable ou manifestement déraisonnable par le juge. Il peut par exemple sanctionner une partie qui n’est pas collaborante et qui refuse de produire devant le tribunal tous les éléments de preuve dont elle dispose. Désormais, le juge peut la sanctionner en disant : Puisque nous n’aurons pas assez de preuves au final pour nous faire une idée claire de la façon dont les choses se sont passées et que c’est de votre faute, c’est vous qui en subirez les conséquences et c’est vous qui perdrez le procès . »

Un exemple concret de l’application de cette règle, c’est par exemple le cas d’un consommateur qui tente de retirer de l’argent d’un distributeur, mais qui ne reçoit pas de billets bien que son compte soit débité. Aujourd’hui, s’il porte plainte, c’est à lui d’apporter la preuve de ce dysfonctionnement. Difficile ! Et si le juge demande à la banque de lui soumettre le fichier des transactions, mais que celui-ci a été supprimé, ça ne change rien à la situation : c’est toujours au consommateur qu’incombe la charge de la preuve. À l’entrée en vigueur de la réforme, le juge pourra, par une décision motivée, renverser la situation et considérer que c’est bien à la banque de prouver qu’elle a délivré les billets. À défaut, elle sera condamnée et le plaignant obtiendra gain de cause. « Ce changement sert surtout d’outil ultime visant à éviter des discussions interminables au tribunal » , explique-t-on au cabinet du ministre.

Relèvement du plafond

L’autre changement important, c’est le relèvement du plafond pour les transactions nécessitant une preuve écrite. Actuellement, si vous achetez (ou vendez) un bien d’une valeur supérieure à 375 euros, un accord écrit est nécessaire. Faute d’un tel écrit, l’existence du contrat ne peut pas être prouvée, et une partie peut refuser d’exécuter ses obligations (comme payer le prix ou délivrer le bien par exemple). « Peu importe la forme, précise Dominique Mougenot. Ça peut être au dos d’un carton de bière, mais il faut la signature des deux parties » .ÀA l’avenir, ce plafond sera porté à 3.500 euros. La règle s’appliquera par exemple dans les transactions entre particuliers via internet, qui sont de plus en plus fréquentes.

Preuve libre

En dessous de ce montant de 3.500 euros, la preuve sera donc désormais libre. « On pourra utiliser n’importe quel élément : des témoignages s’il y en a, ou d’autres indices éventuels comme des échanges d’écrits non signés, des mails ou même des SMS, analyse Dominique Mougenot. Tout indice tiré du dossier pourra servir de preuve. »

On notera que le régime de la preuve civile (et son plafond pour la preuve écrite) s’applique dans les relations contractuelles entre particuliers, mais aussi du côté commerçant dans les relations entre particuliers et commerçants. Dans ce dernier cas, la preuve est déjà libre et sans plafond (quel que soit le montant du litige, donc) pour le consommateur.

Pour Dominique Mougenot, le relèvement du plafond à 3.500 euros permettra de « simplifier les choses ». « Dans la vie quotidienne, on ne prend pas nécessairement la peine de faire un écrit signé » , explique-t-il.

Reste que l’écrit a aussi une valeur de protection du consommateur, qui est en partie perdue. « Au-dessus des 3.500 euros, on arrive dans une catégorie d’actes dont le montant est beaucoup plus important, et là la règle est maintenue », poursuit le magistrat qui rappelle que « le Code civil n’est pas la seule loi qui permet de protéger les gens. Il y a tout le droit de la consommation qui impose une série de règles protectrices. C’est le cas pour les crédits. Mais il y a aussi les règles qui veillent à l’information correcte des consommateurs, à l’exclusion des clauses abusives ou des pratiques déloyales à l’égard des consommateurs. En outre, pour certains contrats, comme les contrats d’assurance, un écrit est exigé dans tous les cas. C’est une dérogation aux règles usuelles du Code civil, qui n’est pas modifiée dans le projet de nouveau Code. »

Avant d’entrer en vigueur, le projet du ministre Geens devra être soumis au Conseil d’État, repasser en seconde lecture au Conseil des ministres, puis suivre le processus législatif habituel (examen et vote en commission, vote en séance plénière et publication au Moniteur belge ).

BERNARD PADOAN