Le dossier des tueries du Brabant wallon occupe notre pays depuis longtemps. Il s’agit d’une succession d’événements tellement inhumains qu’on disait même que l’Etat avait été attaqué. Le butin n’était rien en comparaison avec les dégâts occasionnés. Les attaques ont laissé un spectre de terreur : le bilan des vies humaines arrachées et des familles qui ont été dévastées était d’une gravité indescriptible.
Le motif de ces attaques était flou. De nombreuses théories ont surgi, l’enquête patinait, et votre Parlement a tenté de faire tout la lumière en organisant deux commissions d’enquête. Cette instruction sur l’enquête judiciaire n’a fourni aucune preuve évidente de mauvaise foi ou de mauvaises intentions. Toutefois, comme le milieu professionnel du crime ne donnait que peu ou pas de tuyau, pour une cruauté sans égard, il apparaissait pour de nombreuses personnes que le dossier était atypique et que les auteurs ne devaient dès lors pas être recherchés dans ce milieu. Selon d’autres personnes, il s’agissait bel et bien d’une association de malfaiteurs, certes très particulière mais « juste » professionnelle.
Depuis que je suis Ministre de la Justice, j’ai toujours porté une grande attention au dossier des Tueries du Brabant wallon. Un de mes premiers contacts avec les Procureurs généraux concernait précisément ce dossier. Les conséquences de ces faits sur les nombreuses victimes, sur la société et sur la Justice nécessitent des efforts soutenus dans le chef de chaque instance compétente, et donc aussi du Ministre de la Justice.
Je me suis principalement concerté avec les Procureurs généraux de Liège et de Mons. Le Procureur général responsable de ce dossier est celui de Liège. Mon prédécesseur, Madame Turtelboom, a chargé ce magistrat de cette affaire, même si le dossier est traité à Charleroi. La raison en était que le Procureur général de Liège était auparavant Procureur du Roi de l’arrondissement de Charleroi et donc déjà familiarisé avec le dossier. Etant donné qu’il s’agit d’un dossier judiciaire, le juge d’instruction de Charleroi est le magistrat dirigeant. Pour rappel, le dossier des faits commis en Flandres (notamment Alost) avait déjà été auparavant, comme suite à l’arrêt de la Chambre des mises en accusation de Gand, transféré à Mons afin d’être fusionné avec les faits qui avaient pris place en Wallonie.
Comme énoncé plus haut, lorsque je suis devenu Ministre, j’ai vite été confronté au dossier, tant à la demande du Procureur Général De Valkeneer qu’à la demande de plusieurs victimes. Une première réunion avec le Procureur général et son équipe a eu lieu le 18 novembre 2014. Il m’est apparu évident qu’une série de stratégies d’enquête n’avaient livré aucun résultat satisfaisant, qu’il y avait eu des tentatives de manipulation de l’enquête, alors que les victimes et leurs proches me faisaient bien comprendre qu’ils n’avaient pas été suffisamment entendus par le passé.
Comme j’ai été minutieusement informé au début de mon mandat de l’état d’avancement de l’enquête à Charleroi, j’ai convié à nouveau le Procureur Général et son équipe le 11 juin 2015 afin de recevoir un nouvel état d’avancement de l’enquête.
Pour cette raison et à ma demande, la prescription de ce type de faits a été prolongée de 10 ans par votre Parlement, en vertu de la loi du 19 octobre 2015, pour éviter la prescription qui se rapprochait alors dangereusement.
Le 14 mai dernier, lors du Conseil des ministres extraordinaire sur la justice et la sécurité, le gouvernement a décidé de préparer un projet de loi sur les repentis en même temps qu’un projet sur les infiltrants civils. Pour ceux qui prétendent que le projet sur les repentis devrait déjà avoir été préparé depuis longue date, je renvoie aux propositions de loi de Tony Van Parijs et de Raf Verwingen, qui sont à l’ordre du jour de cette commission depuis des années. Entre le rêve et la réalité, se trouvent la loi et des objections pratiques. Aucun des deux sujets ne rentre dans nos traditions et cela est apparu lors de la préparation de ces textes. Mon cabinet a une assez bonne réputation en matière d’élaboration de textes. Mais le présent accouchement est difficile, précisément à cause des traditions de travail qui passent par le recueil de nombreux avis. Même avant les révélations des derniers jours, les deux textes étaient à l’agenda du groupe de travail inter-cabinets consacré à la justice. Ce matin, ce groupe s’est d’ailleurs penché sur les infiltrants civils. Lors d’une prochaine réunion, il traitera du sort du texte sur les repentis. Il s’agit de textes volumineux avec de longs exposés des motifs. Il faut également pouvoir s’assurer de l’application efficace des mesures. Certaines expériences du passé m’ont appris qu’un projet insuffisamment porté ne produit pas nécessairement les effets souhaités et peut même rester lettre morte dans certains ressorts. Pensez ici à la peine de l’interdiction domiciliaire ou à la technique du plaider coupable.
Malgré la menace terroriste et le suivi des attentats, j’ai continué à consacrer du temps aux victimes et à leurs avocats. C’est ainsi qu’en mars 2017, je me suis longuement concerté avec Maître Van Steenbrugge, qui m’avait notamment demandé une aide via le fonds des victimes afin de pouvoir consulter l’ensemble du dossier pour ses clients. Bien que je comprenais cette demande, une suite favorable n’a pas pu y être donnée. La commission (indépendante) pour l’aide financière aux victimes d’actes intentionnels de violence m’a fait savoir via son président que « les clients avaient déjà obtenu une indemnisation par le passé en 2000 et 2005, et que le délai d’échéance de 10 ans était dépassé ». Ceci a été transmis oralement.
Les révélations faites dans les médias ce week-end m’ont conduit à faire particulièrement preuve de vigilance. Ce dimanche 22 octobre, j’ai ainsi réuni le Collège des Procureurs généraux en urgence afin de m’informer du dernier état d’avancement qui n’avait pas encore été porté à ma connaissance.
Voici ce que le Procureur-général de Liège m’autorise à communiquer dans le cadre de l’enquête en cours et en particulier sur les récents développements. Je commence la citation :
« Le 22 février 2017, le commissaire Vos, ancien membre de la cellule Brabant wallon, établit un procès-verbal à destination de madame le juge d’instruction Michel aux termes duquel il relate que le nommé David Van Den Steen, une des victimes de la tuerie d’Alost aurait été contacté par une personne qui lui a expliqué que le frère d’un gendarme décédé en 2015 lui aurait révélé que ce dernier lui aurait confié quelques semaines avant son décès avoir participé aux tueries du Brabant wallon.
Le 24 février 2017 les enquêteurs procèdent à l’audition de la personne qui a contacté David Van Den Steen. Il va confirmer les éléments rapportés par ce dernier.
Le 28 février 2017, le frère du gendarme est entendu. Il sera moins explicite que par rapport aux informations rapportées. Il dira que son frère lui a fait comprendre qu’il aurait participé aux faits du Brabant wallon et que le groupe Diane serait impliqué dans les faits. Il évoque une déstabilisation de l’état. Il décrira son frère comme grand et parlant correctement français.
Le 6 mars 2017, l’ancienne compagne du gendarme est entendue. Ils ont vécu ensemble environ deux années. Au cours de leur vie commune, celui-ci n’a jamais parlé des faits ou évoqué une éventuelle participation à ceux-ci. Toutefois, en novembre 2016, le frère du gendarme lui dit au cours d’une conversation que celui-ci était impliqué dans les faits et qu’il s’agissait d’une affaire politique.
Trace du gendarme est retrouvée dans le dossier. Suite à la diffusion des portraits robots en 1997, il fut reconnu comme correspondant au numéro 19 par la même personne qui contactera David Van Den Steen en 2017. En comparant, ce portait et la photo de l’intéressé à l’époque des faits on relève des ressemblances. Ce portrait-robot a été réalisé suite au témoignage d’une personne présente lors de l’attaque d’Overijse le 27 septembre 1985.
Le 15 mars 2017, le dossier personnel du gendarme est réclamé au service des ressources humaines de la police fédérale. De l’examen de celui-ci, il ressortira que le 26 septembre 1985, le gendarme est exempt de service suite à une blessure au pied. Pour rappel, c’est le 27 septembre 1985 qu’a lieu la double attaque de Braine-l’Alleud et d’Overijse. Il apparait, également, que l’intéressé a été affecté au groupe Diane de 1977 à 1979, unité qu’il a quitté pour rejoindre la brigade d’Alost où il était toujours affecté en 1985 au moment de la deuxième vague de faits.
Lors de l’attaque du Delhaize de Braine-l’Alleud, un témoin dira qu’un des auteurs parlait le français avec un accent flamand. Le gendarme est néerlandophone mais parle le français correctement.
Le 13 avril 2017, le frère du gendarme est réentendu par les enquêteurs afin de tenter d’obtenir davantage d’informations. L’intéressé restera pour l’essentiel sur sa première déclaration. En mai 2017, une troisième audition aura lieu. Au cours de celle-ci, il sera affirmatif quant à la participation de son frère aux faits du Brabant wallon.
Le 12 juin 2017, le dossier médical du gendarme est saisi et analysé par un médecin légiste. Il en ressort que l’intéressé a eu un accident le 26 septembre 1985 et une fracture le 11 octobre 1985.
En 2000, un prélèvement de salive est effectué sur le gendarme et ses empreintes digitales sont relevées. Les comparaisons de ces dernières avec celles contenues dans le dossier seront négatives. Une analyse génétique sera faite en 2017 qui ne donnera aucune résultat.
Lors des dernières années de sa vie, la gendarme a vécu en colocation avec un homme qui récupèrera son ordinateur à sa mort. Celui-ci a été saisi par les enquêteurs mais plus aucun élément contributif n’a pu être retrouvé.
Les enquêteurs se sont attachés à identifier plusieurs camarades du gendarme eux aussi gendarmes. Ce travail a permis d’identifier quelques personnes qui pourraient présenter un intérêt pour l’enquête.
Les enquêteurs ont, également, collationné les éléments disponibles dans le dossier concernant des gendarmes et des membres du groupe Diane en vue de les rattacher au gendarme.
Suite à un contact avec l’ancienne compagne du gendarme en septembre 2017, celle-ci donnera quelques éléments supplémentaires et notamment qu’elle lui avait acheté une caravane à Cerfontaine dans un camping. Celle-ci sera retrouvée par les enquêteurs mais plus aucun élément exploitable sera découvert.
Pour le surplus, le travail d’enquête se poursuit.
Ici s’arrête la communication du Procureur général.
J’ai reçu encore aujourd’hui une dernière information relative aux lettres évoquées dans la presse que Maître Vermassen a transmises au Procureur Général de Gand. Le Procureur Général De Valkeneer m’a fait savoir que tous ces courriers ont été exploités sur le plan judiciaire et n’ont révélé, après vérification, aucun élément contributif à l’enquête.
Je voudrais conclure:
1° la piste qui a été exposée depuis février est assurément intéressante. Comme toujours, certains y croiront, d’autres non. Il ne faut pas avoir d’attentes démesurées, mais chaque pierre posée à l’édifice est bienvenue.
2° Quiconque discute avec les victimes ou avec les enquêteurs partis depuis lors à la retraite, ont inévitablement cette forte impression, des connaissances détaillées et des données, que ce dossier ne les quitte pas, ne les quitte jamais. Trop de choses restent inachevées et non éclaircies. L’année dernière, après avoir quitté la commémoration annuelle à Alost, j’ai pu surtout constater l’espoir qui était toujours présent chez de nombreuses personnes. C’est la raison pour laquelle la moindre information doit être exploitée, mais aussi pour la crédibilité de la Justice, et parce qu’il est possible que les tueries du Brabant wallon visaient également l’Etat.
3° Ne soyons pas trop sévères avec la personne qui essaiera aujourd’hui apporter une issue positive au dossier. De nombreux Procureurs Généraux, Procureurs du Roi et Directeurs judiciaires actuels avaient à l’époque des attaques la vingtaine. Certains étaient même des enfants, comme certaines victimes. Nous avons tous reçu un héritage maculé d’une époque où l’éthique et les techniques d’investigation étaient différentes de celles d’aujourd’hui et surtout s’il existait une infime possibilité que des personnes de la maison y étaient impliquées. Nos responsabilités n’en sont pas limitées pour autant. Mais ces responsabilités nous permettent de voir quel est vraiment le problème. Les services se sont toujours tenus prêts. Ils n’ont jamais baissé la garde. Il peut malgré tout être établi qu’un dossier, dans lequel selon les insiders éminents, des repentis pouvaient peut-être apporter une issue positive, a reçu une nouvelle bouffée d’oxygène via l’apport d’informations récentes. C’est ainsi que la Justice, la politique et l’opinion publique ont eu un regain d’énergie afin d’honorer une ancienne dette.
4° Une question concrète : et maintenant ? Lors de l’entretien que j’ai eu dimanche soir avec le Collège des Procureurs généraux, je leur ai garanti que s’il fallait davantage de capacités afin d’enquêter et d’analyser rapidement les récentes pistes, un appui supplémentaire pouvait être fourni par la police judiciaire fédérale (Claude Fontaine s’y est engagé) mais également par le service d’enquêtes du Comité P, étant donné les indications d’une implication éventuelle de (anciens) fonctionnaires de police. Depuis début septembre, deux inspecteurs néerlandophones de la police judiciaire se sont par ailleurs joints à l’équipe de Charleroi, comptant déjà 3 enquêteurs permanents. Aujourd’hui mardi, les Procureurs Généraux de Mons et de Liège rencontrent le juge d’instruction et les enquêteurs. Début de la semaine prochaine, ils feront rapport à tout le collège des Procureurs Généraux. A ce moment-là, je déciderai avec mon cabinet et le collège quelles équipes seront assignées à quelles tâches et à quels endroits. Le Directeur général de la police judiciaire Claude Fontaine m’a déjà fait savoir qu’il était prêt à doubler l’équipe si cela devait s’avérer nécessaire. Nous devons garder la tête froide, compte tenu de l’expérience, des qualités et des compétences de chacun en faisant abstraction de toute émotion contreproductive. En tous cas, à partir d’aujourd’hui, ce type de concertation relative à ce dossier sera organisée régulièrement avec mes services, à l’instar de ce qui se fait dans les dossier sur le terrorisme. Le pouvoir judiciaire et le ministère public sont bien entendu totalement indépendants, mais j’estime qu’il est de ma tâche d’être régulièrement informé, étant donné le caractère historique plus que normal de cette affaire.
5° enfin je souligne l’importance de la poursuite de l’enquête judiciaire dans la discrétion requise et le respect du secret de l’enquête.