La première mosquée « libérale » d’Allemagne a été inaugurée à Berlin. En Belgique, l’Exécutif souhaite créer une fonction officielle de prédicatrice. Le ministre de la Justice soutient l’idée.
Seules les femmes en burqa s’y verront refuser l’entrée. Par contre, qu’ils ou elles soient sunnites, chiites, voilées ou non, hétéro ou homosexuels ; rien de tout cela n’aura d’importance. Tous seront les bienvenus dans la première mosquée inclusive et libérale d’Allemagne. Inaugurée devant la presse du monde entier ce vendredi, à Berlin, la mosquée Ibn-Rushd-Goethe, qui porte à la fois le nom du philosophe musulman andalou et du poète allemand, est l’aboutissement d’un vieux rêve pour Seyran Ates, sa créatrice. Cette avocate, militante des droits des femmes, plaide depuis longtemps pour une révolution sexuelle dans l’islam.
La mosquée berlinoise s’inscrit dans la continuité de quelques cousines pionnières : une mosquée uniquement destinée aux femmes à Los Angeles, des lieux inclusifs, LGBT friendly notamment, à Paris, créé par l’imam gay Ludovic Mohamed Zahed, ou au Canada, ou encore, plus récemment, la mosquée créée par la militante Sherin Khankan, à Copenhague . En Belgique, à ce jour, aucun projet de ce type n’existe. Une seule tentative, finalement avortée, est à recenser : en 2008, la mosquée Assahaba, à Verviers, avait présenté une femme pour la fonction de troisième imam. A l’époque, l’Exécutif des musulmans de Belgique avait refusé de recevoir Houarria Fettah pour l’examen et la candidate avait finalement jeté l’éponge, par ailleurs fatiguée des pressions.
Néanmoins, l’Exécutif des musulmans de Belgique a conscience que l’absence de femmes dans ses mosquées et dans ses conseils pose problème à une partie de la communauté. L’organe chef de culte souhaite donc créer un statut spécifique de « prédicatrice ». L’objectif est de créer une nouvelle fonction officielle qui serait donc reconnue par l’Etat en modifiant la loi de 1974 sur les traitements des ministres de culte. Ces postes seraient uniquement à destination des femmes. « A l’instar des imams, leur rôle consistera à encadrer la communauté musulmane dans et en dehors des mosquées, à travers des conférences, des prêches, l’écoute des jeunes, etc. », explique le président, Salah Echallaoui, via Delphine Laroche, secrétaire générale de l’Exécutif et seule présence féminine en son sein.
Sans donner davantage de précisions en termes d’agenda, l’Exécutif affirme que le projet, « concret » et « en cours », a déjà été abordé lors d’une réunion officielle avec le ministre de la Justice.
Le cabinet confirme et ajoute d’ailleurs que Koen Geens soutient le projet, qu’il considère comme une bonne nouvelle et une modernisation importante. En raison de la séparation des pouvoirs, ce n’est pas au gouvernement d’acter un tel changement. L’Exécutif des musulmans doit à présent officialiser sa demande pour changer la loi.
Le sujet aurait également été abordé par l’organe chef de culte avec certaines instances musulmanes, comme le conseil des théologiens… que le président de l’Exécutif entend précisément réformer afin d’y intégrer davantage de diversité, notamment des femmes. Reste à voir si la volonté du président recevra le soutien de la base sur une telle proposition, sachant que les propos d’ouverture du président font fréquemment grincer des dents en interne. Toutefois, si la potentielle fonction de prédicatrice apparaît comme novatrice, l’idée planait vraisemblablement à l’Exécutif depuis plusieurs années. Et, prédicatrice ou pas, une femme ne serait toujours pas autorisée à guider la prière, soit la fonction principale et exclusive de l’imam.
« Les prédicateurs, surtout connus depuis l’émergence de leurs propres chaînes télé ou internet, ont pour fonction de délivrer des avis juridiques, des fatwas , explique Ghaliya Djelloul, doctorante à l’UCL, spécialiste des questions de genre et de féminisme dans le monde musulman. On peut parfaitement être prédicateur sans être imam, même si de nombreux imams sont aussi prédicateurs. Rendre cette fonction accessible aux femmes reviendrait à reconnaître leurs compétences intellectuelles et leurs connaissances religieuses. Mais elles ne seraient toujours pas responsables d’une collectivité. » Pour la chercheuse, même si « on reste toujours en périphérie » , il s’agirait néanmoins d’un premier pas intéressant : les femmes pourraient amener une voix dissonante sur certains sujets, notamment ceux qui les concernent…
ELODIE BLOGIE