Le ministre de la Justice, Koen Geens, vient de présenter "le saut vers le droit de demain".
Il s'agit d'une vaste réforme du droit pénal, du droit civil et du droit des sociétés.
L'essentiel des réformes devra être traduit dans des projets de loi avant d'être ratifiés.
Il s'agit d'une véritable recodification, un chantier de titan qui s'étalera sur plusieurs années.
Le ministre de la Justice, Koen Geens, ancien avocat d'affaires, est un réformateur. Et un ambitieux, comme on peut le voir à la lecture du titre de sa présentation de réforme de la législation de base: "Le saut vers le droit de demain". C'est dit. Koen Geens veut faire passer le droit du 19e siècle au 21e siècle. Et cette réforme passera par la recodification du code pénal, du code de l'instruction criminelle, du droit civil et du droit des sociétés.
En un condensé de plus de 80 pages, il a présenté hier soir les lignes directrices de ses projets, des textes rédigés avec l'aide active de toute une série d'experts issus de la magistrature ou de l'avocature. Ces textes devront être rédigés en avant-projets ou en projets de lois avant de passer le cap des commissions et d'être discutés et validés par le gouvernement, après avis du Conseil d'État.
Vaste réforme
"Nous allons faire un saut du 19e au 21e siècle", assure Koen Geens qui précise qu'aucun pays n'a retenu autant de dispositions du Code Napoléon que la Belgique. Le code civil, datant de 1804, ne tient pas compte des développements technologiques. Que dire du droit de la famille? "La famille classique de parents mariés est de moins en moins la norme", soulignent les experts chargés de repenser le système. La dernière révision du droit pénal date de 1867, "on s'approche du 150e anniversaire de cette révision", s'amuse Koen Geens. L'intention du ministre est de faciliter l'accès à la Justice - un de ses dadas - mais également de simplifier l'accès aux textes. "Il faut intégrer en droit tout ce qu'il s'est passé en 200 ans. La société du 19e siècle n'est plus la même aujourd'hui", explique le ministre. Il y a, dans cette réforme, à boire et à manger, mais surtout, il y en a pour tout le monde.
La plupart des grandes lignes directrices étaient connues. Réforme de la Cour d'assises, suppression du règlement de la procédure, renforcement du rôle du ministère public au détriment des juges d'instruction - "c'est un débat émotionnel qu'il faut mener avec sérénité" -, mais également modification en profondeur du code des sociétés. "On vit toujours avec la notion de commerçant datant de 1807", dit Koen Geens qui appelle également à assouplir le système des entreprises. "On va essayer de simplifier cela pour que les tiers sachent à quelle société ils ont affaire sans perdre la souplesse du système actuel".
Cette réforme profonde entrera en vigueur au fur et à mesure, il faudra laisser le temps aux gens de digérer les changements. Premier cap? La réforme du droit pénal devrait être bouclée pour la fin de l'année 2018? Le ministre table sur une entrée en vigueur en 2019.
Droit patrimonial et familial
"La famille classique de parents mariés avec enfants est de moins en moins la norme", assure Koen Geens. D'où l'intérêt de réformer la matière. Ce devrait notamment être le cas des successions entre cohabitants légaux et cohabitants de fait. "L'augmentation du nombre de familles recomposées est également source de nouveaux défis dans les rapports entre beaux-enfants, enfants communs, demi-frères et demi-soeurs et beaux-parents", soulignent les experts ayant penché sur la révision. Il devrait également être question de successions et d'héritages. Les experts, conscients que lorsque des enfants héritent, ils disposent généralement de moyens financiers suffisants. La question se pose dès lors de savoir si la part d'héritage des enfants ne pourrait pas revenir aux petits-enfants. Il sera question d'élaborer un "droit patrimonial des couples et un droit successoral sur mesure". L'intention du ministre, compte tenu de l'évolution de la société, est de chercher de "nouveaux équilibres qui concilient les intérêts de toutes les parties concernées". Une proposition de loi réformant le droit successoral sera présentée à la fin de cette année.
Droit pénal
"Il n'est pas question de supprimer le rôle de juge d'instruction", martèle Koen Geens qui sait qu'il marche sur des oeufs. Il n'empêche, la réforme du droit pénal telle que préconisée par les experts, envisage de passer à un seul type d'enquête préliminaire sous la direction du ministère public. Quand c'est le cas aujourd'hui, il y a lieu de parler d'information judiciaire. Une telle procédure est appliquée, par exemple, contre l'homme d'affaires Stéphan Jourdain ou dans le Kazakhgate. La réforme prévoit cependant que cette enquête préliminaire se déroule sous le contrôle du juge d'instruction qui reste le seul habilité à autoriser des écoutes téléphoniques ou des méthodes particulières de recherche. Cette création d'une information uniforme devrait aussi permettre d'uniformiser les droits des parties. Aujourd'hui, dans le cadre d'une information judiciaire, le suspect n'a pas accès au dossier répressif et ne peut pas demander de devoirs complémentaires. "Opter pour un seul type d'enquête permet d'assurer l'égalité de traitement entre les parties", lit-on dans l'état des lieux présenté par Koen Geens. Quand on sait que les experts réclament également la suppression du règlement de la procédure, il conviendra de rester vigilant concernant les moyens de la défense. Enfin, les experts envisagent, parmi d'autres choses, de mettre en place une possibilité de recours contre les décisions du parquet de classer sans suite.
Droit des sociétés
Dans un futur proche, la notion d'entreprise unique viendra remplacer celles de "commerçant", de "négociant" et celle de "société commerciale". Une entreprise unique, donc, qui impliquera la fin de la différenciation de traitement entre les entreprises de nature civile et les entreprises commerciales, en matière de droit de la preuve, de solidarité et de droit de l'insolvabilité. Le compétence générale du tribunal de commerce viendra se greffer sur cette nouvelle notion d'entreprise unique, une situation qui entraînera un changement de dénomination. Dès que les réformes seront passées, le tribunal de commerce sera rebaptisé en tribunal des entreprises. Et pour mieux coller à la réalité de cette nouvelle situation, les agriculteurs, les professions libérales et les entreprises du secteur non marchand devront être représentés dans les rangs des juges consulaires, ces juges non professionnels qui, au tribunal de commerce, assistent les magistrats de profession. La nouvelle réforme prévoit également la possibilité pour les entrepreneurs d'organiser une "faillite silencieuse", soit la mise en place d'une faillite de façon discrète, sans publicité. Enfin, une procédure devrait permettre aux entrepreneurs de se relancer en marge d'une faillite, sans que les revenus de la nouvelle activité ne soient intégrés dans la masse de la faillite.
NICOLAS KESZEI