Message de blog

le lundi 01 août 2016 09:00 Message de blog

Il est inhabituel qu'un Ministre de la Justice prenne la plume au milieu de l'été afin d'exposer sa politique de lutte contre le terrorisme. Les événements de ces derniers mois et le renvoi generique ces deniers jours à un "Patriot Act" ne me laissent pas d'autre choix. Je pourrais par rapport aux exigences d'un renforcement supplémentaire de la législation existante et encore à venir, me referer, à l'instar de la tribune du ministre de la Justice français parue la semaine dernière dans Le Monde, au risque generique d'une "Guantanamoïsation".

Ce n'est pas seulement par respect pour notre plus grand partenaire de coalition et par respect pour les Etats Unis que je préfère réagir sobrement mais également parce que, de par ma fonction, je veux être à l'écoute, avec empathie, des angoisses du citoyen. Ensuite, la seule vraie réponse ne peut consister qu'en des actes concrets et non des mots: actions politiques, lois votées, projets de lois déposés, exemples d'actions judiciaires, jugements et arrêts qui démontrent que la justice belge, dans des circonstances difficiles, fonctionne correctement et que, si tous les projets sur la table sont votés et exécutés, elle sera plus efficace encore. Nos parquets, cours et tribunaux belges ont le record d'Europe sur le plan des condamnations effectives en matière de terrorisme ces dernières années. Mais on peut certainement encore faire mieux.

Les actes concrets dont je viens de parler doivent être supportés par une vision de l'état de droit, de préférence un standard concret qui peut servir d'orientation. Concilier les devoirs et les droits des individus et la sécurité collective de la communauté est en effet un défi permanent pour l'état de droit moderne, la démocratie et les droits de l'homme et plus particulièrement les droits de la défense. J'ai continuellement défendu que la frontière entre la liberté et la sécurité doit être tracée là où un gouvernant, profondément imprégné des droits et libertés mais qui se sait responsable pour la sécurité publique, le ferait immédiatement après une attaque terroriste aveugle au cours de laquelle beaucoup de victimes innocentes seraient tombées. Je me suis tenu à ce standard au cours des 21 mois écoulés. Et je veux continuer de la sorte au cours des prochains 34 mois: paS de respect sacro-saint de la vie privée et de la liberté d'expression quand les atteintes à ces droits ne seraient pas significatives en comparaison avec le tort qui peut être causé (p.ex interdiction de discours incitant à la haine, levée de l'anonymat des cartes prépayées) mais fermeté quand il convient de défendre même en période de terreur les fondements de la société (p. ex autorisation d'un magistrat pour les méthodes particulières de recherches ou de renseignements).

C'est ainsi que j'ai exigé et obtenu les perquisitions de nuit en cas de soupçon de terrorisme. Cette mesure a déjà permis un nombre impressionnant de 45 perquisitions au cours de la nuit du vendredi 17 au samedi 18 juin.

Précédemment ‎déjà, la loi sur la conservation des données a été revotée après une annulation par la Cour constitutionnelle. En application de cette loi, les opérateurs téléphoniques sont contraints de conserver pendant 12 mois toutes les données téléphoniques et les sms pour un éventuel usage judiciaire. Un nombre incalculable d'enquêtes judiciaires préventives et répressives ont pu dès lors être menées à bien.

De même, j'ai proposé et finalement obtenu la levée de l'anonymat des cartes prépayées. Dans chaque dossier au cours des 20 derniers mois, des cartes de paiements qui ne peuvent pas immédiatement être reliées à une personne ont été échangées.

Enfin, peu après Verviers, j'ai demandé la prolongation de l'arrestation administrative de 24 jusqu'à 48 à 72h mais en raison d'une opposition hésitante, le parlement n'a pas encore modifié la Constitution sur ce point.

A chaque fois, la question est la même: sur base de l'expérience, s'agit-il d'une mesure utile et si tel est le cas, quelles mesures doivent être prises pour protéger les droits fondamentaux des individus? Ce n'est que lorsqu'une réponse satisfaisante peut être apportée à ces deux questions qu'une mesure peut être proposée et prise.


Dès lors, chaque gouvernement va devoir réfléchir comment il aurait pu éviter un attentat tel que celui de Nice. Tout homme de bon sens sait déjà qu'une interruption de pure coincidence dans la chaîne de causalité aurait permis d'éviter le destin mais malgré cela une réponse, une mesure évidente ne saute pas aux yeux.
L'auteur n'était que peu connu, l' "arme" pas facile à tracer. Sans oublier que des celebrations telles que celle de Nice, il y en avait des centaines ce jour-là en France.

Parfois, il faut reconnaître que l'on ne connait pas (encore) la bonne réponse: il serait malvenu de répondre à une crainte tout-à-fait compréhensible par des mesures qui ne donneraient qu'un faux sentiment de sécurité et pour le reste provoqueraient beaucoup d'effets non voulus.

Ci-dessus, j'ai fait état des quatre mesures les plus exemplatives parues dans la presse et sur lesquelles l'opinion publique a eu son attention attirée de manière répétée. Mais beaucoup d'autres mesures sont potentiellement aussi benefiques.

Je n'en reprendrai que quelques unes, au risque de lasser, précisément parce que beaucoup de mesures appelées par certains Patriot Act sont aujourd'hui possibles ou le seront prochainement, tout en maintenant une meilleure protection des droits de l'individu.

Dans les trois lois "terrorisme", la liste des infractions terroristes a été systématiquement étendue, par exemple au départ vers l'étranger (avec une possibilité de retrait anticipatif de la carte d'identité par le Ministre de l'Intérieur) et de retour de l'étranger, à des fins terroristes, ou à des faits d'incitation directe ou indirecte au terrorisme, par des discours d'incitation à la haine. Juste avant la suspension de ses activités, le Parlement a voté une loi par laquelle le risque d'un attentat terroriste ne doit pas être démontré pour rendre le discours d'incitation à la haine punissable. Le Ministre de la Justice s'insurge donc face aux accusations grave de la Ligue des Droits de l'Homme qui y voit à tort une entrave à la liberté d'expression. A ceux qui voudraient encore aller plus loin que le dispositif approuvé par le Parlement, je ne peux que dire que notre jurisprudence est censée être en état, sans nouvelles dispositions législatives, de faire la distinction entre d'une part le négationnisme dangereux et l'apologie du terrorisme dans leurs effets incitatifs, et d'autre part, l'avertissement sincère contre un occidentalisme exagéré -C'est-à-dire l'attitude d'absoudre l'occident de tout vice.

Sur le volet préventif, il est désormais possible pour la chambre du conseil de placer en détention préventive les suspects de terrorisme plus facilement que pour les autres infractions. En matière d'exécution des peines, le bracelet électronique n'est pas possible et dès lors la prison est la seule issue lorsque le suspect de terrorisme encourt une peine de moins de 3 ans d'emprisonnement.

Préventivement, une banque de données des combattants en Syrie potentiels, développée par l'OCAM, est alimentée et consultée par tous les services compétents et il est prévu de développer une banque de données similaire pour les prédicateurs de haine.

Dans chaque commune ou ville à risque, conformément à une circulaire fédérale des ministres de la Justice et de l'Intérieur, une cellule de sécurité intégrale est crée au sein de laquelle les services compétents au niveau fédéral, régional et local, préventifs et répressifs échangent les renseignements disponibles sur les combattants en Syrie.

Parce que cela ne peut pas se dérouler toujours en respectant le secret professionnel, il est réfléchi à un régime légal de secret professionnel partagé.

Systématiquement, conformément à la une circulaire ministérielle, les biens et comptes des combattants en Syrie sont gelés par notre Conseil de Sécurité, à chaque fois à la demande de la Justice.

En ce moment, à la demande de la Justice, un projet est discuté au Parlement sur une nouvelle législation en matière des méthodes particulières de recherche (MPR) dont les parquets et la police judiciaire pourront disposer, sous le contrôle des juges d'instruction. Les techniques modernes de contrôle visuel et d'infiltration dans les maisons, systèmes informatiques et internet seront réglés, sans que l'utilisateur soit au courant, mais naturellement sous un contrôle judiciaire. Les possibilités d'écoutes moyennant l'autorisation des juges d'instructions seront élargies notamment pour les écoutes ayant pour objectif la détection de commerce d'armes ainsi que les abus sexuels sur des enfants et la traite des êtres humains. Des perquisitions pourront avoir lieu en l'absence d'instruction judiciaire mais moyennant l'autorisation du juge d'instruction (mini-instruction).

Avant la suspension des travaux parlementaires, le gouvernement, à l'initiative des ministres de la Défense et de la Justice, a adressé au Parlement un projet de loi concernant les méthodes particulières de renseignements. Les méthodes de la Sûreté de l'Etat et du service de renseignement miliaire doivent être adaptées aux dernières évolutions techniques afin qu'ils puissent agir de manière efficace. Encore et à nouveau moyennant une juste surveillance et sous le contrôle des instances adéquates. Ainsi la Sûreté de l'Etat sera suivie de manière permanente par la commission MPR composée de trois magistrats. Il sera dorenavant possible de suivre depuis le territoire belge, les combattants en Syrie à l'étranger‎ tout en prévoyant une procédure d'urgence particulière .


Il est certain que ce n'est pas la Justice qui va s'opposer contre le prétendu "gewapend bestuur" même si le Patriot Act n'a que peu à voir avec cela, pas plus qu'avec avec les autorités locales.

Une meilleure approche administrative, notamment au niveau local, est une des orientations figurant dans la note cadre de sécurité intégrale récemment adoptée et dont mon cabinet était le moteur.

Aujourd'hui, le bourgmestre dispose déjà d'importants leviers: il peut fermer un établissement, en ce compris une institution religieuse, si l'ordre public est menacé même lorsque l'activité exercée est légale. Sur proposition du ministre de l'Intérieur, le gouvernement travaille à une révision de la loi-caméra par laquelle la possibilité sera donnée aux services de police d'utiliser des caméras "intelligentes" et "discrètes" contre des personnes ou des lieux qui présentent un risque pour la société.

Mais encore et à nouveau sous le contrôle des instances compétentes qui veillent aux droits et aux libertés.

Un autre exemple: dans l'arrondissement judiciaire de Flandre Orientale, la police fédérale, la police locale, les services d'inspection, l'auditorat du travail et le tribunal de commerce travaillent de concert dans la lutte contre les nouvelles sociétés frauduleuses. L'agent de quartier local joue un rôle important d'avertisseur. Les sociétés peuvent être screenées via la BNG (la banque de données de la police). Le magistrat de référence décidera par après s'il entame une information ou une instruction judiciaire en concertation avec les différents partenaires ou une enquête commerciale.

C'est précisément parce que la justice est une question et de balance et de poids, un "ars aequi et boni" qui ne supporte par les excès, même dans la lutte contre le mal, qu'il apparaît préférable d'éviter l'exagération et la polémique. En voulant être trop à l'écoute des craintes des citoyens, tout au contraire contribuerait-t-on à attiser ces peurs. Si la peur de la population est compréhensible et concrète, elle n'en demeure pas moinsS pour les gouvernants unemauvaise conseillère.