Trop de fuites dans les enquêtes antiterroristes. Le ministre de la Justice veut mieux garantir le secret professionnel. Et soutient que les journalistes n’ont rien à craindre...
Le ministre de la Justice (CD&V) souhaite punir davantage les violations du secret professionnel, durcir la législation dans ce domaine. Les journalistes s’inquiètent. Les « fuites » lors des enquêtes antiterroristes sont dans le collimateur. Koen Geens s’explique.
Vous vous attaquez au secret des sources. Martine Simonis s’inquiète au nom de l’Association des journalistes professionnels.
Je dois avouer que je n’ai pas vu venir ces critiques… Je n’ai jamais eu l’intention de toucher au secret des sources des journalistes. Cela ne figure pas dans mes projets ni mes avant-projets. Quels sont-ils ? Les peines prévues pour la violation du secret professionnel du médecin, de l’avocat, du magistrat sont quasiment anecdotiques. On parle énormément de toutes ces choses, mais les sanctions sont minimes. Or, protéger ce secret professionnel, c’est important. D’où notre volonté de renforcer les peines. Ce qui n’a rien à voir avec la protection des sources.
Ce qui a motivé votre intervention, ce sont les fuites dans les enquêtes antiterroristes ces derniers mois…
Depuis un an, le parquet me dit ceci, en substance : « M. le Ministre, c’est bien d’alourdir les peines, mais nous ne savons pas prouver les délits, car nous n’avons pas les moyens pour enquêter… » Dans le cadre du projet de loi relatif aux « méthodes spéciales d’enquête », j’ai reçu un avis du parquet, du collège des procureurs généraux, me disant qu’il faut modifier le code de procédure criminelle afin de rendre possible les écoutes, après consentement du juge d’instruction, pour évaluer si quelqu’un a violé le – son – secret d’instruction. Il s’agit de tous ceux qui auraient parlé, ou qui seraient soupçonnés d’avoir parlé.
Des policiers pourraient mettre sur écoute des policiers ?
Cela se fait déjà. Ou des médecins ou des magistrats. Nous avons bien dû constater que, dans certaines enquêtes de terrorisme, tout était dans la presse avant même que nous l’apprenions nous-mêmes… Des chaînes de télévision se retrouvaient à la porte de Salah Abdeslam avant les voitures de police. C’est dangereux pour tout le monde.
Mais vous savez que les fuites viennent de France essentiellement. Des journalistes là-bas ont l’entièreté du dossier…
Il y a eu des tensions, je ne veux pas faire de commentaires. Je reviens à mon propos… Pour mettre sous enquête un journaliste, un avocat ou un médecin, il faut que cette personne ait commis d’énormes bêtises. Déjà aujourd’hui, la Sûreté ne peut pas récolter d’informations sans l’autorisation du juge d’instruction. Lorsqu’il s’agit d’un journaliste, c’est toujours la commission chargée d’évaluer les méthodes particulières de recherche, avec un juge d’instruction, un magistrat du siège et un du parquet, qui doit opérer. Même chose pour un avocat et un médecin. Cela demeure. Seule chose que l’on ajoute : si l’on a des indications d’espionnage à propos de quelqu’un qui porte le titre de journaliste sans exercer réellement la profession, ce n’est plus la peine de le traiter comme un journaliste, nous pourrons agir.
Les services de renseignements pourront retirer sa carte de presse à un journaliste ?
Non. C’est toujours la commission dont j’ai parlé qui opère. On ne retire pas la carte, mais on dit qu’en cas d’espionnage on peut enquêter comme pour toute autre personne, et on prévient immédiatement le ou la président(e) de l’association des journalistes professionnels. Par rapport aux pays étrangers, nous sommes très protecteurs des libertés. L’intervention d’un juge d’instruction est requise dans tous les cas, j’approuve cela. J’ajoute que le droit des journalistes de ne pas révéler leurs sources n’est évidemment pas remis en question.
Quelle importance ont eu les fuites dans les enquêtes ? Quel degré de gravité ?
Cela a eu de l’importance. Je n’ose pas penser ce qui aurait pu se produire lors de certaines perquisitions… A plusieurs reprises, on pouvait suivre en direct sur écran. Je me souviens d’avoir téléphoné à Wouter Beke (NDLR : président du CD&V) , qui me dit : « Je suis en train de regarder la télévision, une perquisition est en cours ». Moi, j’ignorais cela... Ce n’est pas un reproche à la presse en général. Le sens des responsabilités domine. Mais je sais qu’à certains moments il faut vendre et ça, un homme politique comprend mieux que quiconque. Le principe à observer est celui-ci : quand je suis porteur d’un secret que quelqu’un me confie, je dois le garder.
Au fait, lors de l’alerte générale à City 2, lundi, qui s’avéra être un canular, vous aviez déclaré que le suspect avait probablement des sympathies pour Daesh…
Non. Un journaliste de VTM m’a demandé si l’on pouvait supposer cela, j’ai dit oui, c’est tout. Vous savez, ou bien on ne dit rien, ou bien on dit des généralités pour ne pas décevoir la presse. Ce matin-là, alors que nous nous trouvions au-dessus de l’escalier du centre de crise, on s’est demandés si on devait sortir par la porte arrière ou si l’on prenait la porte principale, le Premier a dit qu’il était préférable de sortir par-devant sinon les médias allaient penser qu’il y avait un grand problème… Voilà, alors, parfois, on dit des totales généralités.
Vous bénéficiez d’une protection rapprochée. Comment vivez-vous cela ?
Selon mes proches, je suis quelqu’un qui n’a pas assez peur.
Un mot à propos du prolongement de la garde à vue, cela va aboutir ?
J’y suis favorable. J’espère que le parlement prendra bientôt l’initiative. On a voté la possibilité de perquisitionner la nuit, il faut avancer aussi sur la garde à vue. Le parquet reste très demandeur.
Votre modèle ?
J’avais dit de 48 à 72 heures, j’ai laissé la porte ouverte, c’est au parlement d’opérer. On pourrait généraliser les 48 heures, et prévoir une période additionnelle, par exemple, dans le cas de terrorisme, avec des habilitations intermédiaires de la part d’un magistrat du parquet.