Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs les députés du Parlement Benelux,
La fusillade d’Orlando et l’assassinat d’un policier et de sa femme en France ces derniers jours ont rappelé que la menace terroriste peut venir d’actions plutôt individuelles même si les personnes se revendiquent de l’Etat islamique. Les attentats de Paris et de Bruxelles étaient par contre l’œuvre de véritables commandos avec des mouvements multiples au-delà des frontières nationales.
Cette menace terroriste multiforme a atteint depuis 2015 un niveau sans précédent à l’échelle européenne et nécessite aussi une mobilisation sans précédent.
Le 15 janvier dernier, j’avais déjà, avec Felix Braz, mon homologue luxembourgeois participé à la commission de la justice du Parlement Benelux pour évoquer les mesures nationales de lutte contre le terrorisme.
Je ne vais pas répéter ici cet exercice consistant à rappeler toutes les mesures que nous avons déjà prises au niveau national. Je peux seulement insister sur le fait que ce travail continue sans relâche. Nous enchaînons les mesures pratiques et législatives pour perfectionner l’appareil de justice et de sécurité. La coopération se poursuit à tous les niveaux belges de pouvoir pour encore améliorer notre approche intégrale et intégrée de la radicalisation.
Mais il est évident que les efforts nationaux ne servent pas à grand-chose s’ils ne s’accompagnent pas d’une coopération avec nos Etats voisins et nos partenaires européens.
Ce Parlement du Benelux l’a bien compris puisque vous vous apprêtez à voter une recommandation qui se concentre sur ces aspects de coopération transfrontalière.
Cette coopération doit se développer dans tous les forums de coopération. Il y en a beaucoup : la coopération bilatérale, le Benelux, l’Union européenne, le Conseil de l’Europe, l’OSCE, l’OTAN, la coalition contre l’Etat islamique, les Nations-Unies, etc. Au point qu’un des enjeux pour nos services est devenu d’arriver à suivre tous ces travaux sans se disperser. Il est dès lors essentiel que chaque enceinte internationale soit mobilisée mais aussi qu’elle se concentre sur là où elle apporte une valeur ajoutée.
Votre recommandation montre bien que le niveau central pour la coopération policière et judiciaire dans la lutte contre le terrorisme est le niveau de l’Union européenne. Je veux m’y arrêter un instant parce que le Benelux a un rôle à jouer dans ces travaux.
Mon collègue Jan Jambon a déjà insisté sur le volet relatif à l’échange d’informations. Les deux instruments clés sont Europol et le Système d’information Schengen. Il faut beaucoup plus d’uniformité et de systématicité dans l’alimentation et l’utilisation de ces outils. Il faut aussi maximiser le lien entre ces outils et d’autres instruments européens, notamment les banques de données comme Eurodac et le Système d’information sur les visas.
Je voudrais de mon côté insister sur trois aspects de la coopération au niveau de l’Union ou en marge de celle-ci :
- Le premier aspect concerne la coopération entre services de renseignement. L’UE n’a pas de compétence dans ce secteur mais les services se sont eux-mêmes organisés dans une enceinte correspondant à la composition de l’UE. Nous devons continuer à soutenir leurs efforts – déjà en cours - pour se doter d’outils de coopération et de gestion des infos plus intégrés.
- Le deuxième aspect concerne la procédure pénale et l’accès aux données de communication de services Internet comme Whatsapp, Viber, Skype ou Facebook dans les enquêtes pénales. Ce point est aussi abordé dans votre recommandation.
- Le troisième aspect est la finalisation de la nouvelle directive sur les infractions terroristes. Un renforcement de la base commune des infractions terroristes doit non seulement améliorer l’approche nationale mais aussi faciliter la coopération.
L’Union s’est enfin saisie de ce dossier absolument crucial pour les enquêtes en matière de terrorisme. Le Conseil des Ministres de la justice a adopté la semaine passée des conclusions importantes pour avancer dans ce secteur et améliorer la coopération des providers internet. Le dossier est difficile mais nos enquêteurs ont besoin de progrès significatifs rapidement. L’Union doit clarifier la situation à son niveau. Elle doit engager un dialogue structuré avec les providers qui sont tellement puissants et globaux que l’approche fragmentée Etat par Etat – ou même au niveau Benelux - ne suffit pas. Et l’Union doit discuter de tout ceci avec les Etats-Unis, où la majorité des providers sont hébergés.
Le groupe des pays Benelux doit être mobilisé pour faire avancer ces dossiers européens.
Nous sortons d’une période particulière de 12 mois de Présidence « Benelux » du Conseil. Je voudrais saisir cette opportunité pour féliciter mes collègues Ard Van Der Steur et Félix Braz pour la manière dont ils ont géré leur présidence et engrangé des résultats importants.
Le meilleur exemple est ce dossier de l’accès aux données de communication Internet que je viens d’évoquer. Les trois pays du Benelux ont joué un rôle clé. Le Luxembourg et les Pays-Bas ont magistralement traité ce dossier durant leurs Présidences successives et la Belgique a activement travaillé sur le fond du dossier pour soutenir les deux Présidences et préparer les prochaines étapes.
Nous devons maintenant revenir vers notre concertation Benelux habituelle pour influencer les futures Présidences de l’UE et garder le cap. C’est d’autant plus important qu’il ne fait pas de doute que la lutte contre le terrorisme est un des secteurs dans lesquels une action de l’UE plus forte est largement soutenue par la population européenne et celle des pays Benelux en particulier.
Que le niveau central soit le niveau de l’Union ne signifie évidemment pas qu’il n’y a pas de mesure à prendre au niveau spécifiquement Benelux.
Je ne pense pas qu’il y ait un besoin de mettre l’information opérationnelle en commun au niveau du Benelux. Cela doit se faire au niveau européen.
Par contre, je suis convaincu qu’il faut que le cadre juridique de la coopération Benelux soit modernisé et que cela nous aiderait aussi dans les enquêtes anti-terroristes.
Les conventions Benelux des années 60 ont inspiré les instruments européens des années 90. Le Benelux doit absolument reprendre son rôle de pionnier de la coopération européenne à ce niveau.
Mon collègue Jan Jambon a évoqué les travaux en cours pour améliorer le traité Benelux de coopération policière. Dans l’Union à 28, les progrès sur le cadre juridique de la coopération policière et judiciaire stagnent. Certains changements radicaux nécessaires ne pourront pas se faire tout de suite à 28. Il faut alors les faire au niveau Benelux.
Je pense en particulier à un accès direct réciproque aux banques de données policières au-delà de ce qui existe au niveau de l’Union et qui est limité aux empreintes digitales et ADN. Lorsque un enquêteur belge s’intéresse à un suspect, il doit pouvoir immédiatement vérifier sur son ordinateur si la personne est connue de ses homologues néerlandais ou luxembourgeois, sans passer par Europol ou par une demande adressée à ses collègues.
Je voudrais aussi insister sur le dépassement de la coopération judiciaire que j’ai déjà mentionné en commission justice du Parlement Benelux en janvier.
Ici aussi le cadre de l’Union apporte des améliorations notables pour une coopération à 28. C’est en particulier le cas de la « décision d’enquête européenne » dont l’instrument a été adopté sur base d’une initiative belge. Mais il faut aller plus loin dans une coopération à trois sur une territoire comme le Benelux où la coopération transfrontalière est devenue un élément normal des procédures pénales.
La double autorisation judiciaire d’une mesure d’enquête, c’est-à-dire à la fois dans l’Etat où la mesure est ordonnée et celui où la mesure est exécutée, ne me semble plus toujours justifiée. Il y a des mesures très ordinaires où cela ne se justifie plus. Je pense à une audition volontaire d’un témoin ou à l’identification du titulaire d’un numéro de téléphone. Des travaux sont en cours dans ce sens. Je sais que nos positions divergent en partie. Les obstacles sont importants mais je crois que nous pouvons réussir.
En conclusion, je ne peux que me réjouir du fait que le Parlement Benelux ait mené cette réflexion qui aboutit à ces recommandations. Je salue le travail considérable réalisé par le Secrétariat général du Benelux pour garder une vue d’ensemble et faire des progrès concrets.
Pour la plupart des aspects les plus urgents et les plus opérationnels liés à la menace terroriste actuelle, l’amélioration de la coopération transfrontalière passe nécessairement par le niveau de l’Union vu la mobilité des terroristes. Je suis convaincu qu’une concertation Benelux renforcée est indispensable pour faire progresser ces travaux de l’Union.
Je suis aussi convaincu que le cadre spécifiquement Benelux doit évoluer. La menace terroriste n’est qu’une raison supplémentaire pour faire des progrès radicaux dans le cadre juridique de la coopération policière et judiciaire Benelux. Je pense que c’est sur ces aspects que nous devons nous concentrer le plus afin d’accélérer les travaux et pouvoir entamer concrètement la négociation d’un nouveau traité.