ACTUALITÉS LE PERSONNAGE Entretien avec le ministre de la Justice qui dévoile un peu de lui-même et de son action. Une parole presque surprenante dans un contexte de communication cadenassée voire paranoïaque... Quels étaient les premiers signes? Le fait de devoir remettre, avant d'entrer dans la salle de cinéma, son ...
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LE PERSONNAGE Entretien avec le ministre de la Justice qui dévoile un peu de lui-même et de son action. Une parole presque surprenante dans un contexte de communication cadenassée voire paranoïaque...
Quels étaient les premiers signes? Le fait de devoir remettre, avant d'entrer dans la salle de cinéma, son GSM aux projections de presse? Le fait de signer un document vous engageant à ne pas faire de selfies avec la star que vous vous apprêtiez à interviewer? C'est dans le showbusiness qu'ils sont apparus, les premiers signes que la communication - y compris journalistique - devait être encadrée. Depuis la naissance des réseaux sociaux, ce phénomène s'est répandu dans tous les domaines de la société. Et bien entendu en politique. Mais depuis la législature Michel, la situation s'est tendue. Obtenir l'interview d'un membre d'un gouvernement - fédéral ou régional tient du parcours du combattant. Des semaines de négociations pour, bien souvent, ne rien obtenir. La stratégie de communication de certains ministres peut se résumer à celle-là: ne pas communiquer. Et dans certains cas - ils sont nombreux ces derniers temps -, cela aurait, sans doute, valu bien mieux. Non, Madame Milquet, un dauphin n'est pas un poisson. Oui, madame Galant, le RER nécessite quatre et pas deux voies. Alors, interviewer un ministre fédéral, lamand par-dessus le marché, tenait, dans ces circonstances, du pari hasardeux. Koen Geens est assez exposé en ce moment: interrogation sur le suspendu du prononcé en cas de viol, retard de paiement des factures du ministère de la Justice, remise en liberté d'un député suspecté de meurtre pour vice de forme, grève dans les prisons, terrorisme, remise en question de la garde à vue de 24 heures... Les sujets qui fâchent ne manquent pas. Il faut reconnaître, pourtant, que l'homme semble être de taille. Ce brillant avocat, professeur d'université et diplômé de Harvard, a failli être recteur de la K.U.L., il y a quelques années. En 2013, ancien chef de cabinet du ministre-président lamand Kris Peeters, il est bombardé, à la surprise générale, ministre des Finances du dernier gouvernement Di Rupo. Il it tellement impression que cet homme presque inconnu du Landerneau politique - il se présenta pour la première fois à une élection en 2014 - fut pressenti par certains observateurs comme un possible Premier ministre. Grand-père quinquagénaire, amateur de Jean-Sébastien Bach, il donne toujours cours plusieurs heures par semaine à l'Université de Louvain. Mais quand, en moins de trois jours, son cabinet parvient à vous proposer une interview téléphonique, c'est une petite surprise. Où êtes-vous, Monsieur le Ministre? KOEN GEENS - Je suis à l'arrière d'une voiture, je quitte le ministère des Finances et je vais au ministère de la Justice.
K.G. - Non, ça va encore, on a de la
Il y a beaucoup de trafic? chance! Que faites-vous habituellement en de telles circonstances? K.G. - En voiture, je signe des documents, je parcours mon courrier, je lis la presse - lamande, francophone et aussi The Economist - ou je prépare mes dossiers.
Quels sont ceux qui vous prennent actuellement le plus de temps?
K.G. - En ce moment: la nouvelle législation en matière d'internement. Le but est que les gens qui ont commis des actes violents en raison d'une maladie ou d'un trouble mental ne soient plus détenus en prison mais dans une unité de soins adaptée - et le dossier de l'autonomisation de la gestion de la magistrature. En permanence, il y a bien entendu les dossiers liés au terrorisme: quotidiennement, je dois suivre les rapports d'information de la Sûreté de l'État et puis je gère la préparation des dispositions liées au terrorisme annoncées par le gouvernement en matière de législation - modiications du temps de la garde à vue et des plages horaires de perquisition en tête. Un dossier ardu car, comme vous le savez, il nécessite une modiication de la Constitution. Vous étiez plus tranquille au ministère des Finances. Entre ce ministère et celui que vous occupez actuellement, où vous sentez-vous le plus heureux ou le plus à votre place? K.G. - Par rapport à mes goûts personnels, il n'y a pas de différence. J'ai toujours fait la comparaison avec mes petits-enfants. Quand ma ille m'a demandé si je préférerais un petit-ils ou une petite-ille, je lui ai dit qu'évidemment je souhaiterais un petit-fils, mais que si c'était une petite-ille ce serait encore mieux. Et donc, le petit-ils c'est les Finances et la petite-ille, c'est la Justice...
Libération d'un député suspecté de meurtre, taux de classement sans suite des Parquets très élevé, bâtiments vétustes - il suffit de voir le Palais de Justice de Bruxelles... Vous trouvez que la petite-fille va bien? K.G. - Elle pourrait aller mieux, c'est certain. Mais j'y travaille d'arrachepied.
Tout de même, ne trouvez-vous pas qu'on a trop détricoté l'État belge? Outre la justice, le nucléaire et la mobilité - pour prendre les problèmes cruciaux du moment - font pâle figure. Il ne faudrait pas revenir en arrière? K.G. - Votre question est rhétorique en quelque sorte: vous attendez que je vous dise oui! (Rire.) Je dirais que le détricota ge que vous évoquez avant tout n'est pas un problème qui frappe la justice. C'est une compétence toujours assez homogène au niveau fédéral même si les maisons de justice et une partie de l'application des peines font partie dorénavant de la sphère régionale. Mais il est vrai que se pose, de manière générale, un problème: la coordination des différentes entités - fédérales, régionales, communautaires - autour d'un secteur dont elles ont, chacune, une partie des compétences. Donc, je comprends la critique... Que penser du Plan Canal de lutte contre l'islamisme et la radicalisation limité à huit communes dont la plupart sont bruxelloises, alors que Sharia4Belgium est né à Anvers et comme si les événements de Verviers n'avaient jamais existé? K.G.- Il ne faut surtout pas voir dans ce plan une stigmatisation de Bruxelles, mais plutôt une mise à disposition de moyens supplémentaires à la Région bruxelloise. Il y a 17 millions pour Bruxelles, soit. Mais 55 autres sont alloués pour les mêmes buts au reste du pays... Ce plan est passé dans les médias comme "bruxellois" alors que les chiffres que je viens de vous donner montrent une réalité plus subtile. Je pourrais vous parler du grand problème du salafisme qu'on a à Maaseik dans le Limbourg, nos efforts concernent aussi, entre autres, cette petite ville.
Qu'est-ce qu'un universitaire bardé de diplômes comme vous est venu faire en politique? K.G. - Disons que c'est une passion. J'ai toujours considéré que s'occuper de la chose publique était la tâche la plus noble qu'on pouvait exercer. S'investir dans l'intérêt général en oubliant son intérêt personnel, oui, je trouve ça beau.
Si vous étiez un animal?
K.G. - Un pélican. D'ailleurs, c'est mon nom de scout. Mais un pélican, parce que dans la mythologie, c'est l'animal qui donne son sang à ses enfants. Peut-être également parce que vous aimez le poisson? K.G. - Ah, oui, c'est juste: j'adore le poisson!
"C'EST CERTAIN: LA JUSTICE POURRAIT ALLER MIEUX."
Gauthier De Bock