La fin de l’anonymat des cartes SIM prépayées est l’une des mesures prises par le gouvernement suite aux attentats de Paris afin de pouvoir traquer plus rapidement les terroristes. Les enquêteurs perdent aujourd’hui un temps précieux à identifier des appels passés depuis ces cartes systématiquement utilisées dans ce type d’affaires.
Une question se pose : cette mesure va-t-elle concerner les cartes prépayées déjà en circulation – il y en a six millions dont au moins un million sont anonymes – ou uniquement les nouvelles cartes ? Lors de l’annonce, le gouvernement avait opté pour cette seconde possibilité. Aujourd’hui, les choses sont beaucoup moins claires. Au cabinet du ministre de la Justice Koen Geens, on nous explique que cette question fait toujours l’objet de discussions en intercabinet tandis que chez le ministre des Télécoms, Alexander De Croo, on précise que la décision du kern ne concerne que les nouvelles cartes mais que l’usage anonyme des anciennes cartes pourrait aussi être limité dans le temps. Selon quelles modalités ? « Les techniciens clarifient les détails… »
La perspective de voir la mesure se limiter aux nouvelles cartes inquiète dans les milieux policiers et judiciaires. Cela reviendrait à laisser plus d’un million de cartes anonymes dans la nature, pour le plus grand bonheur des terroristes. Certains observateurs craignent de voir se développer un marché noir de la carte anonyme. « Avant que la mesure n’entre en vigueur, on peut s’attendre à des achats massifs de cartes prépayées » .
Pourquoi alors ces atermoiements ? Selon plusieurs sources, il faudrait y voir une bisbille entre Koen Geens (CD&V) et Alexander De Croo (Open VLD). En juin dernier, le ministre de la Justice était déjà venu avec un texte visant à mettre fin à l’anonymat des cartes prépayées. A l’époque, le ministre des Télécoms avait sèchement recalé la proposition de son collègue devant le Parlement. Il l’avait estimé « disproportionnée » en matière de respect de la vie privée et dépassée sur le plan technologique, faisant allusion aux nombreuses possibilités de passer des appels sans carte sim (Skype, Whatsapp…). Les attentats de Paris ont changé la donne et Alexander De Croo a été forcé de revoir son point de vue mais pour ne pas perdre totalement la face, il aurait obtenu que la mesure ne soit pas rétroactive…
Du côté des opérateurs, la question divise aussi. Si certains sont pour une identification complète des clients prépayés, Base serait très réticent. Depuis sa création, cet opérateur a toujours ciblé les clients « prépayés ». Il en a même plus que des abonnés (2,18 millions de prépayés pour 1,03 d’abonnés). C’est lui qui a le plus à perdre d’un bouleversement de ce marché. Si l’anonymat n’est plus autorisé pour les cartes en circulation, il lui faudra contacter par SMS tous ses clients et couper la ligne de ceux qui refusent de s’identifier. Avec des pertes de clients potentielles. L’identification pose aussi toute une série de problèmes pratiques. Un tiers des cartes de Base sont vendues via des circuits parallèles : night-shops, librairies, grands magasins… Ce sont ces revendeurs qui vont devoir se charger de demander les cartes d’identité et de communiquer ces infos à l’opérateur. Selon quelles modalités ? Avec quelles garanties d’exactitude ? Et surtout, vu les formalités administratives, ceux-ci vont-ils vouloir continuer à proposer ce produit ?
JEAN-FRANÇOIS MUNSTER