Depuis le début de la législature, vous vous efforcez de tenir un discours pondéré, soucieux du compromis, ouvert à la critique. C'est le style CD&V ?
Nous avons toujours été un parti qui écoute, qui intègre les critiques, un parti qui sait que la vérité et la vertu se trouvent au milieu. Pour les polémiques, pour la radicalité, il ne faut pas venir chez nous. Génétiquement, nous ne savons pas jouer ce registre-là. Je suis incapable de parler en "one-liners ". Je dis toujours "oui mais" . La prison de Haren, c'est très bien, mais … Je veux préserver le palais de justice de la place Poelaert, mais … Il faut réduire les charges sociales, mais on ne peut pas le faire sans un tax shift (NdlR : glissement fiscal).
Mais y aura-t-il un tax shift ? MR, Open VLD et N-VA, vos partenaires de coalition, ne semblent guère enthousiastes.
Sous le gouvernement Di Rupo, le CD&V a défendu une réduction des charges sur le travail, et nous l'avons obtenue. Cela reste une ambition de ce gouvernement : on veut ramener à 25 % les cotisations sociales patronales. Pour financer ça, ainsi qu'une réduction de l'impôt sur les personnes physiques, un tax shift est indispensable.
On pourrait aussi réduire les dépenses publiques.
Je ne vois pas comment on peut économiser encore plus. Il y a peut-être moyen de faire ici et là une petite économie, mais il faut rester raisonnable. Nous avons déjà acté une réduction de 20 % des frais opérationnels et d'investissement. Je crois que nous avons atteint la limite.
Du côté libéral, on soutient que réduire les charges sociales entraînera un "effet retour", bénéfique pour l'économie. D'après cette logique, une baisse de la fiscalité sur le travail ne doit pas être compensée par une augmentation importante des autres types de recettes.
Comme ex-ministre des Finances, je dois vous décevoir. Quelles sont les soupapes ? La Sécu ? Pas vraiment. Augmenter la dette ? C'est interdit par l'Europe. La croissance ? Oui. La Belgique peut-elle, toute seule, créer de la croissance ? Malheureusement, non. Ne rêvons pas : la réduction des charges sociales, aussi souhaitable soit-elle, ne va pas à elle seule ramener la croissance dans notre pays.
Autrement dit : le tax shift implique d'augmenter certains impôts. Lesquels ?
Ce qu'il faut, c'est changer les proportions. La recette des taxes qui ne pèsent pas sur le travail doit être augmentée, alors que la recette des taxes qui pèsent sur le travail doit être diminuée. En disant ça, je ne dis rien de la pression fiscale globale. Si demain la croissance permet de réduire tous les impôts, tant mieux ! Pour l'instant, ce n'est pas le cas. Et quoi qu'il en soit, les proportions doivent changer. Le travail est trop lourdement taxé, alors que les charges sur la consommation et les revenus du patrimoine sont nettement moindres, de même que l'éco-fiscalité.
Deux Premiers ministres francophones d'affilée, si on se réfère à l'histoire politique récente, c'est presque une anomalie. Le prochain locataire du 16, rue de la Loi, devra-t-il être flamand ?
En théorie, j'ai toujours estimé qu'il fallait impliquer les deux parties du pays dans la direction du gouvernement. Je pensais donc qu'après Di Rupo, une rotation normale amènerait un Premier ministre néerlandophone. Mais, tout comme j'étais très heureux avec M. Di Rupo, je suis très heureux avec M. Michel. Le plus important, c'est que le Premier ministre se soucie de manière égale des deux côtés du pays. Si cette condition-là est acquise, les Flamands et les Wallons se révèlent très accueillants à son égard. Cela démontre que notre pays a encore un grand avenir.
En 2013, Stefaan De Clerck, ancien ministre CD&V, déclarait dans "Knack" que la reformation du cartel avec la N-VA était inscrite dans les astres. Y croyez-vous ?
Je suis très ami avec Stefaan, je n'aime pas le contredire. Mais peut-être ne voyons-nous pas les mêmes astres. Au fond, qu'est-ce qui explique l'entente entre le CD&V et la N-VA ? Je pense que ça tient en grande partie à l'éducation politique que leurs leaders ont reçue.
Vous voulez dire qu'il y a un fonds culturel commun entre vos deux partis ?
Oui. Nous avons fréquenté les mêmes collèges catholiques. La principale différence concerne l'avenir de la Belgique : au CD&V, nous ne sommes pas des nationalistes. Nous nous distinguons aussi de la N-VA dans notre relation avec le "middenveld" , la société civile organisée. A l'inverse de la N-VA, nous considérons que c'est une force vive qu'il faut impliquer au maximum dans les décisions. Ces deux divergences fondamentales rendent, à mon avis, une renaissance du cartel très difficile.
"La justice a été délaissée pendant ces cent dernières années"
Le conseil des ministres a approuvé, jeudi, le volet pénal de votre plan. Il y a quelques semaines, c'est le volet civil qui a été adopté. Que reste-t-il dans le pipeline ?
Nous avons à faire avancer, cette année encore, les dossiers sur l'exécution des peines et l'internement; sur l'autonomie de gestion des juridictions et la mobilité des magistrats; sur l'aide juridique et l'assurance assistance judiciaire. Il existe toutefois un autre chantier d'envergure qui concerne les réformes de différents codes et matières juridiques. Il est lancé et je compte le présenter à l'automne.
Une des mesures adoptées concerne la possibilité pour la chambre des mises en accusation de correctionnaliser la quasi-totalité des crimes. Est-ce la mort de la cour d'assises ?
Non. L'institution du jury populaire est inscrite dans la Constitution, et d'autre part, la chambre des mises en accusation aura toujours la faculté de renvoyer un dossier devant la cour d'assises. Nous ouvrons de nouvelles possibilités de correctionnalisation dans un souci d'efficacité. Nous voulons réduire les coûts engendrés par les assises et éviter que les jurés doivent se prononcer sur des affaires de grand banditisme ou de terrorisme qui exigent, en outre, des mesures de sécurité hors normes.
Ces dernières semaines, plusieurs hauts magistrats ont reproché au gouvernement, donc à vous-même, de vouloir "démanteler", "détruire", "endormir" la justice. Ce sont des mots durs et rares. Vous choquent-ils ?
Je ne serais pas un homme de chair et de sang si ça ne me touchait pas. Vous savez, la justice bénéficie d'un traitement défavorable depuis cent ans. Au XIXe siècle, c'était une institution très favorisée, bien plus que le secteur de la santé par exemple. On la jugeait cruciale pour l'Etat de droit. On a ensuite insisté, au XXe siècle, sur la sécurité sociale, les soins de santé, les pensions, etc., considérant que la justice avait reçu ce dont elle avait besoin. Ce faisant, on l'a laissée tomber progressivement en déshérence. Nous avons autant de magistrats que nos voisins mais nous avons moins dépensé qu'eux en termes d'infrastructure, de prisons et d'informatique. De ces lacunes, on ne peut me rendre responsable. Je suis un ministre qui, dans des circonstances budgétaires difficiles, essaie de moderniser l'institution et de la rendre plus efficace. Les économies qu'on demande à la justice sont moins lourdes que ce qui a déjà été imposé par le passé.
Certes, pour la première fois, on va appliquer des économies de personnel aussi à la magistrature mais elle n'est pas la seule à les subir. La marge de manœuvre pour investir dans les infrastructures est étroite mais j'ai obtenu des moyens. Nous n'avons pas le choix : il faut moderniser la justice et je veux être le moteur de cette profonde modernisation.
La prison de Haren sera-t-elle construite ?
Sur le plan urbanistique, les riverains ont des questions auxquelles il faut être sensible et, à ce niveau, la décision de la Région bruxelloise sera, si j'ose dire, capitale. Pour ce qui concerne la responsabilité du fédéral, je rappelle que la décision a été prise par le gouvernement précédent. Sa décision a eu des effets sur l'état des prisons de Forest, Saint-Gilles et Berkendael pour lesquelles aucune marche arrière n'est possible. Je vais donc boucler ce projet.
Les riverains de Haren craignent surtout le va-et-vient lié aux transferts des détenus en préventive. Je veux moins de préventive et des interventions de la chambre du conseil plus espacées. Cela résoudra un peu le problème mais j'entends surtout que la chambre du conseil siège en prison ou à proximité.
Les transfèrements, à Bruxelles et ailleurs, sont en train de nous tuer. A Bruxelles, une centaine de détenus doivent être transportés les jours où la chambre du conseil siège. Ils attendent des heures dans leur cellule du palais pour passer deux minutes devant leur juge. Est-ce respectueux de leurs droits ? Les entendre à proximité de la prison résoudra bien des problèmes.
L'indépendance de la justice est-elle menacée ?
Je suis fier du fait qu'un juge néerlandais ait pu ordonner au gouvernement de réduire de 25 % les émissions de CO2 d'ici 2020. Cela prouve l'indépendance du pouvoir judiciaire et je la respecte. Les trois pouvoirs ont leur rôle à jouer. Ce qu'il faut c'est que chacun puisse chanter sa chanson dans un chœur en connaissant son rôle et en respectant celui de l'autre.