Au Canada, 80% des conflits et litiges sont résolus par médiation. Ce sont donc quatre cas sur cinq qui ne doivent jamais être soumis à un tribunal. Dans notre pays, le Belge n'opte pour la médiation que dans 1% des cas.
Un large écho a été fait au lancement de l'ambitieux "Plan Justice" du ministre Koen Geens, y compris dans les colonnes de ce journal.
Au niveau timing, le ministre entendait manifestement anticiper sur le contrôle budgétaire. Il souhaite convaincre ses collègues du gouvernement de miser sur le long terme. Réformer la justice en profondeur, plus que ses prédécesseurs n'auraient jamais osé l'imaginer, en mettant aujourd'hui suffisamment d'argent à disposition - un investissement que la société devrait récupérer largement par la suite.
Les avocats, juges, magistrats et autres acteurs du monde judiciaire ont organisé dans la foulée une "journée d'alerte", qui s'assortit également d'un message à destination du gouvernement de ce pays. S'ils soutiennent des réformes radicales, ils veulent aussi éviter que l'on ne jette le bébé avec l'eau du bain, en faisant pencher la balance un peu trop du même côté.
À l'heure où, comme d'habitude, chacun essaie d'attirer l'attention sur ses propres intérêts, je me réjouis, en qualité de témoin privilégié, de pouvoir transmettre aussi un message d'optimisme au principal "client" de la Justice: le citoyen justiciable. Pour lui, les possibilités d'éviter des procédures judiciaires longues et coûteuses sont multiples.
En tant que directeur de l'un des plus grands assureurs en protection juridique de Belgique, j'ai à cœur de promouvoir ce que le ministre Geens décrit dans son plan comme des "modes alternatifs de résolution des conflits". Je suis témoin, chaque jour, d'exemples concrets que la meilleure manière de résoudre un différend et de "dire le droit" est de recourir à ce qu'il convient d'appeler la médiation.
Ceux qui connaissent les chiffres savent qu'il y a des raisons d'être optimiste. Prenez l'exemple du Canada: 80% de tous les conflits et litiges y sont résolus par médiation. Ce sont donc quatre cas sur cinq qui ne doivent jamais être soumis à un tribunal. Et les intervenants, dès lors qu'ils disposent d'une assurance protection juridique, ne doivent même pas payer d'avocat.
Dans notre pays, le Belge n'opte pour la médiation que dans 1% des cas. À tort, car pas moins de 79% des dossiers que nous traitons sont résolus. Parfois de manière extrêmement simple, grâce à une bonne discussion entre les intervenants. Lorsque les choses se passent malgré tout un peu moins bien, un médiateur professionnel externe peut intervenir.
Une bonne discussion aura suffi…
Dans le cas de Pierre, une bonne discussion a suffi. Pierre avait des problèmes avec sa nouvelle installation de chauffage. Il décida dans un premier temps d'assigner son installateur en justice. Un an et demi plus tard, hormis le fait que les intéressés s'étaient sans cesse rejeté la faute, rien n'avait avancé.
Heureusement, quelqu'un avait gardé la tête froide et décidé de demander notre aide. Il ne fallut pas plus d'une matinée pour que le médiateur convienne sur place avec Pierre, l'architecte et l'installateur du rôle que chacun devrait jouer dans la solution de ce conflit.
Quelques jours plus tard, l'habitation de Pierre était à nouveau chauffée comme il se doit. Et toutes les étapes judiciaires longues et coûteuses furent d'un seul coup superflues.
La médiation a aussi tout son intérêt lorsque les enjeux sont plus importants et qu'une seule discussion ne saurait suffire. Comme dans le cas de cette chaîne de boulangerie qui, après le décès du fondateur, devait être l'objet d'un partage entre ses trois enfants. Ceux-ci n'arrivaient pas à sortir d'une querelle de famille qui aurait pu s'inscrire dans la durée. Et, plus grave encore, cette entreprise florissante, qui employait 17 personnes et apportait son dû à la société par le paiement de cotisations sociales et d'impôts, allait droit à la faillite.
Il fallut au médiateur un certain temps avant de mettre le doigt sur le nœud du problème: par le passé, les deux frères et leur sœur n'avaient jamais été impliqués dans la gestion, l'entrepreneur décédé avait toujours eu du mal à déléguer. Une fois mise au jour la vraie nature du blocage, les intéressés réussirent à dégager ensemble une solution. L'héritage fut partagé, la chaîne de boulangerie fut sauvée et celle-ci demeure à ce jour une entreprise active et prospère.
Une économie de temps et d'argent
Voici donc la force de la médiation qui peut faire économiser beaucoup de temps et d'argent aux justiciables, à la justice et partant, à la communauté.
Tout va-t-il dès lors pour le mieux dans le meilleur des mondes? Et les nécessaires économies sont-elles déjà presque réalisées? Hélas non, car le Belge ne connaît pas cette belle alternative. Ou trop peu.
Annuellement, mes collaborateurs traitent quelque 70.000 litiges. Pour être précis, il y en eut 67.524 en 2013 lorsque, parallèlement, pas moins de 1.127.000 jugements et arrêts furent rendus par voie judiciaire.
La base est encore réduite, mais l'opportunité n'en est que plus grande. Si, tous, nous faisons connaître les alternatives existantes et que nous conseillons activement aux gens d'y recourir, nous accomplirons un grand pas qui ne fera de mal à personne et bénéficiera à tout le monde. Voilà ma contribution optimiste aux plans de Koen Geens.
* L'auteur s'exprime à titre personnel
La médiation, entre réformes ambitieuses et magistrats inquiets
Les acteurs du pouvoir judiciaire s'étaient réunis il y a quelques jours au Palais de justice de Bruxelles pour demander au gouvernement de renoncer aux économies annoncées dans la justice.