Interview

le samedi 22 novembre 2014 10:36 La Libre Belgique
Le nouveau ministre de la Justice, Koen Geens (CD&V), a fait, avec "La Libre", le tour de toute une série de dossiers brûlants liés à son département.

1 L'aide juridique. M. Geens veut que l'aide juridique de première et deuxième lignes continue à être assurée aux justiciables. Elle se fera à l'intérieur d'une enveloppe fermée. Le gouvernement compte introduire un ticket modérateur, accompagné d'une nomenclature. Le ticket devrait être retenu par l'avocat. Le reste de ses honoraires sera pris en charge par la justice, en fonction des points attribués. M. Geens considère que la rétribution des avocats Pro Deo est raisonnable. Il se soucie par ailleurs des justiciables qui ne peuvent bénéficier de l'aide juridique sans être riches pour autant. Il promeut l'élargissement des assurances assistance judiciaire sans vouloir les rendre obligatoires. Il compte rencontrer Assuralia dans les jours qui viennent à ce sujet.

2 Les frais de justice (interprètes, experts, analyses ADN, téléphonie…). Koen Geens veut améliorer le volet comptabilité et informatique. Selon lui, cela sera d'autant plus utile à la justice qu'on va vers une décentralisation de la compétence d'engagement des frais, dont la gestion sera bientôt confiée aux instances judiciaires. Le ministre compte apurer la moitié des frais de justice cette année encore. Il espère qu'à partir de 2017, via des contrats de gestion, il pourra rendre les ressorts responsables de leurs propres dépenses en matière de frais de justice. D'ici là, il négociera avec les opérateurs afin de réaliser des économies (sept millions d'euros ?) sur les frais de téléphonie.

3 Bâtiments judiciaires et prisons. Malgré le fait que la justice devra faire des économies d'investissements de 22 % par an, M. Geens promet la construction d'une nouvelle prison à Verviers, Leopoldsburg et à Haren mais aussi le rapatriement de tous les détenus de Tilburg pour 2016 et un nouveau palais de justice à Tournai.

4 Réforme du code pénal et du code de procédure pénale. Elle se fera, dit M. Geens, en tenant compte du développement de peines autonomes (probation, surveillance électronique, confiscation, etc.) qui seront des alternatives à la peine de prison, et en ayant à l'esprit l'exécution des peines. Selon lui, on n'enverra plus en prison que les condamnés à un an au moins mais avec la certitude que la peine soit exécutée. Ceux à qui incombera la tâche de rédiger les nouveaux codes doivent, dit-il, recevoir des instructions politiques très claires. Il espère arriver à ses fins d'ici quatre ans. Et se mettre en ordre de marche face aux obligations engendrées par la loi Salduz.

5 L'avenir de la cour d'assises . M. Geens confirme son intention de ne plus présenter devant la cour d'assises que les affaires liées aux crimes de sang et de faire juger par des magistrats professionnels les dossiers de terrorisme et de grande criminalité. Il voit les avantages qu'un jury populaire peut avoir dans certains cas et ne compte pas supprimer l'institution mais envisage une co-délibération entre la cour et le jury sur la culpabilité et la peine et ne voit pas comment on pourrait échapper à l'introduction d'un degré d'appel.

6 Les lenteurs de la justice. Le ministre rappelle que la volonté du gouvernement est d'obtenir des jugements civils un an après l'entame de la procédure. Il faut, dit-il, réfléchir à la possibilité d'étendre les débats interactifs et à la nécessité de passer systématiquement par la plaidoirie. Il faut aussi réfléchir, à travers les contrats de gestion à conclure avec les juridictions, à la durée des instructions afin que le délai raisonnable soit respecté.

7 L'extension de la transaction financière en matière pénale. La transaction pénale est un privilège du parquet, relève le ministre qui, dit-il, ne peut qu'exprimer son avis personnel. "En matière pénale, les preuves ne sont pas toujours faciles à réunir. Prenons l'exemple du délit d'initié : il est presque toujours impossible de savoir s'il y avait eu communication d'une information privilégiée avant que la personne achète ou vende des titres. Par ailleurs, les affaires qui traînent laissent des traces du côté des inculpés. Je ne veux pas protéger les hommes d'affaires mais c'est une réalité. Quant à l'intérêt général, je constate que sur une courte période, la récolte permise par la transaction a été de 58 millions d'euros. Il ne faut pas non plus oublier les revenus fiscaux qui y sont associés. Les montants des transactions sont aussi beaucoup plus importants que les amendes pénales prononcées par un tribunal. Pour l'Etat, la mesure est plutôt une bonne affaire même s'il y a des choses à dire sur le principe .

8 L'affaire Luxleaks . Selon M. Geens, tant que nous n'aurons pas un marché fiscal intégré au sein de l'Europe, la concurrence fiscale continuera. C'est comme ça. Le ministre aimerait éviter la compétition entre les législations mais pour cela, il faut un effort d'harmonisation européen, une base taxable.

9 Faut-il taxer les revenus du capital ? M. Geens n'entend pas jeter davantage d'huile sur le feu. "Nous mènerons cette discussion au sein du gouvernement" , dit-il, ajoutant qu'il existe une marge de manoeuvre dans l'accord de gouvernement pour réétudier la question du "tax shift".

10 La place du CD&V au sein du gouvernement. Le ministre répond que son parti est toujours heureux quand il peut être aux affaires. Il relève que le CD&V a longtemps eu l'habitude de jouer les premiers violons et que si ce n'est plus vrai aujourd'hui, il a largement contribué à l'écriture de la partition, en continuité avec celle du gouvernement Di Rupo. Le CD&V oeuvre pour l'avenir du pays, "comme le montrent la réforme des pensions et la réduction des coûts salariaux, chantiers absolument nécessaires". Il constate que l'on assistait déjà sous Di Rupo à une polarisation du pays mais qu'elle a été aggravée par les élections, "ce que je regrette énormément". A ses yeux, c'est une faute de notre démocratie constitutionnelle de permettre à cette polarisation de se jouer entre deux partis qui n'ont pas le même électorat potentiel, "ce qui rend d'autant plus difficile la tâche de ceux qui, comme le CD&V, essaient de trouver le juste milieu pour tous les habitants de notre pays".

Jean-Claude Matgen