Les statistiques de criminalité, telles que répertoriées à partir des plaintes enregistrées à la police, donnent-elles une image fidèle de la criminalité ? La police fédérale elle-même le disait lorsqu’elle les divulguait : ces chiffres sont difficiles à interpréter.
Une vaste enquête, menée auprès des Belges en 2018, permet désormais d’affiner ces données de criminalité enregistrée publiées annuellement.
Pour ce Moniteur de la sécurité, qui pour des raisons budgétaires n’avait plus été réalisé depuis 2008, 465 000 questionnaires ont été envoyés par courrier aux habitants, âgés de 15 ans et plus.
Un peu plus de 168 000 ont répondu, soit 36,2 %. Pour le commissaire général de la police fédérale, Marc De Mesmaeker, ce large taux de réponse permet de tirer des conclusions pertinentes.
La criminalité informatique en tête
Une des questions les plus intéressantes portait sur les délits dont ont été victimes les personnes interrogées au cours des douze derniers mois : les cinq faits qui arrivent en tête sont l’escroquerie sur Internet (8 %), l’intrusion dans un ordinateur ou un smartphone (8 %), les menaces via un autre canal qu’Internet (5 %), le délit de fuite dans la circulation (5 %) et le vol avec violence (4 %).
Les faits d’atteinte aux mœurs – avec 2,48 % des Belges qui en ont été victimes au cours des 12 mois écoulés – sont particulièrement élevés. C’est dans la tranche d’âge de 15 à 24 ans que l’on est le plus susceptible d’être victime de ces faits : 5,3 % des 15-24 ans disent en avoir été victimes.
Les victimes ne vont pas à la police
Il est instructif de croiser ces données de victimisation avec les suites qu’ont données les victimes à ces faits. En matière de hacking, seuls 14 % des Belges qui déclarent en avoir été victimes ont déposé plainte. En matière d’escroquerie, via Internet ou non, le taux de plainte tourne autour de 21 %.
Ce qui fait dire à la police fédérale que les faits de hacking commis en 2018 ne seraient pas de 3 575 faits en 2018, tels que répertoriés dans les statistiques policières sur la criminalité enregistrée pour 2018 mais d’environ 22 000. Pour les escroqueries sans Internet (7 328 dans les statistiques) et avec Internet (18 713 dans les statistiques) cela tournerait plutôt respectivement autour de 28 000 et de 66 000.
Les infractions informatiques – qui sont la forme de criminalité qui augmente le plus au fil des ans – sont donc la catégorie d’infraction dont les citoyens sont le plus souvent victimes, tout en étant celle qui est la moins signalée à la police.
À l’inverse, c’est pour les cambriolages (86 %) et les vols de voiture (81 %) que les dépôts de plainte auprès de la police sont les plus importants.
Le gros point noir des faits de mœurs
Plus inquiétant, reconnaît M. De Mesmaeker, le taux de plainte en mœurs est très bas : 18 % des victimes ont porté plainte. Pour M. De Mesmaeker, il faut inciter à porter plainte. Il y en a eu 12 028 en 2018. Si les victimes ne vont pas à la police, juge-t-il, c’est notamment en raison d’un sentiment de culpabilité ou parce que ces faits se passent souvent dans un cadre intrafamilial. La victime craint des représailles ou des conséquences sur la vie familiale.
Le ministre de la Justice, Koen Geens (CD&V), partage ces explications en matière de mœurs. Pour les autres catégories, il formule des hypothèses : ne pas oser en parler à la police alors qu’on connaît certains de ces membres, parce que l’on pense que le parquet ne poursuivra pas ou que le tribunal ne sanctionnera pas. Il note que, dans le courrier qu’il reçoit, on commence souvent par un “sans doute ne me lirez-vous pas”.
Et M. Geens d’insister : il est important de signaler les faits dont on a été victime à la police. Il appelle celle-ci à mener des campagnes pour que le citoyen porte davantage plainte. Il souhaiterait que des études scientifiques soient menées pour comprendre pourquoi le taux de plainte reste si faible.
Malgré ce chiffre noir, le Moniteur de sécurité 2018 montre que 75 % des résidents belges se sentent “toujours” ou “presque toujours” en sécurité dans leur quartier, soit 11 % de plus qu’il y a 10 ans.
Le sentiment d’insécurité est davantage présent chez les femmes (6,7 % des femmes se sentent toujours ou souvent en insécurité, contre 4,74 % des hommes) et parmi les jeunes de 15 à 24 ans (6,8 % contre 5,4 % pour les 65 ans et plus).
J. La.